Par Louis-Philippe Renaud

*Ce texte conclut une série de dix articles consacrés au besoin de sortir d’une trajectoire non durable.
Biologiste de formation, Olivier Hamant est directeur de l’institut Michel Serres et chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) en France. Ses découvertes l’ont amené à développer une pensée socioécologique inspirée du vivant.
Il en appelle à abandonner le culte de la performance et à miser sur la robustesse pour faire face à l’instabilité et aux crises multiples, tel que les évènements extrêmes sur le plan climatique.
Vivre avec un monde fluctuant
Le constat d’Olivier Hamant s’avère sans équivoque : l’humanité entre dans un monde fluctuant et turbulent. Pour appuyer son argumentation, il cite les rapports du Forum économique mondial, de l’IPBES, du GIEC et de la CIA. En lien avec le climat, il souligne que le fait de désormais évoluer dans un monde instable et imprévisible implique de composer avec le court terme. Comme il le répète sur toutes les tribunes, « dans le monde fluctuant, on ne prévoit plus, on se prépare ».
Pour lui, la seule certitude sur laquelle nous orienter est le maintien et l’amplification de l’incertitude. Nous devons donc nous disposer à devenir adaptables avec le moins d’objectifs contraignants possible. Ainsi, plus nos marges de manœuvre augmentent, plus nous atteignons de la robustesse. Des stratégies robustes misent sur la diversification des solutions, l’exploration de scénarios envisageables, la conception de systèmes plus souples et l’édification de principes qui permettent l’agilité au niveau local.
C’est ici que le lien avec son expertise de biologiste entre en compte. Les sciences de la nature nous apprennent que le monde vivant se comporte exactement ainsi.
Abandonner le culte de la performance
La définition de la performance d’Olivier Hamant correspond à celle de la gestion, soit la somme de l’efficacité (atteindre l’objectif) et de l’efficience (avec le moins de moyens possible). Ces critères se trouvent d’ailleurs au cœur du nouveau management public, qui cherche à appliquer les pratiques du secteur privé aux services publics.
La critique de la performance de ce biologiste prend source dans l’observation de la croissance des plantes. Afin de produire des feuilles « parfaites » en quantité, celles-ci multiplient les interactions avec ce qui la compose et avec son environnement. Le vivant explore, se diversifie et expérimente constamment!
Le vivant ne s’enferme donc pas dans des voies étroites ultra-performantes. Au contraire, les plantes gâchent 99 % de l’énergie solaire, tandis que les herbivores et les carnivores subissent une perte calorique de 90 %. Tout ce « gaspillage » constitue plutôt une contribution aux écosystèmes qui les maintiennent par ailleurs en vie. Le vivant coopère tout naturellement après quelques millions d’années d’expertise en recherche et développement.
Dans cet esprit, l’épidémie de burnouts humains et sociétaux serait liée à une quête absolue de performance, d’optimisation et d’innovation déconnectées d’elle-même et de son environnement. Le dogme de la croissance infinie, lié à la performance, pousse le capitalisme à exploiter l’humanité et la biodiversité dans une logique compétitive qui évacue la valeur du prendre soin. Pire encore, il concentre la richesse matérielle aux mains d’une minorité, provoque le dépassement des limites planétaires, bouleverse les écosystèmes et dérègle le climat.
Opter pour la robustesse
Oliver Hamant associe la contre-performance des écosystèmes à de la robustesse. Pour maintenir et rendre viables des systèmes stables malgré les fluctuations, inspirons-nous du vivant. À son image, repensons nos organisations et nos sociétés avec davantage de liens sociaux. Nous contrerons ainsi les ravages de la solitude et de l’isolement, favoriserons la santé mentale et stimulerons le potentiel de coopération et d’entraide face à l’imprévisible et à l’impensable qui nous attend.
Dans le monde fluctuant, on doit lâcher prise et multiplier les options : « la quête excessive de contrôle nous a fait perdre le contrôle ». La robustesse du territoire et l’autonomie se développent avec une diversité de sources d’énergie, la réparabilité et des pratiques telles que l’agroécologie. Le futur s’avèrera viable du moment où la majorité pourra répondre à ses besoins à proximité de son lieu de vie ; où la polyvalence aura pris le dessus sur l’hyperspécialisation qui rend vulnérable.
Gardons espoir : stimuler l’hyperconnexion et l’abondance d’interactions peut aussi engendrer des possibilités et des solutions novatrices. Le développement de communautés avec des compétences coopératives orienté vers la gouvernance des biens communs donne le goût d’un demain. La théorie de l’action collective d’Elinor Ostrom vise d’ailleurs une robustesse entre territoires décentralisés, mais solidaires. La qualité de nos relations et l’identification des valeurs qui les guideraient pourraient alors devenir une quête beaucoup plus enivrante qu’une série dystopique qui pullule sur nos écrans.
Nous devons donc nous permettre l’ambition et même réenchanter le risque afin de déterminer à quel niveau établir la marge de manœuvre en fonction des scénarios envisageables. Notre humanité se distingue aussi par sa créativité et sa capacité de réaliser l’impossible avec une bonne dose d’amour et d’entraide. Olivier Hamant souligne d’ailleurs le piège de notre quête du confort. Celle-ci nous éloigne de l’interdépendance et de la nécessité d’entretenir un rapport sensible au monde en nous y rendant hermétiques.
Qu’importe l’avenir, il se veut certainement plus souhaitable si on peut compter sur nos proches, notre communauté et les organisations locales qui les supportent. D’ailleurs, les pouvoirs publics ont de plus en plus de difficulté à soutenir la population en temps de crise. Les marges de manœuvre du système de santé et d’éducation durant la pandémie ont bien mis en évidence ses limites. Fort à parier que les objectifs de performance auxquels ceux-ci sont soumis y contribuent…
Pour découvrir Olivier Hamant :
- Entrevue menée par Julien Devaureix du balado Sismique
- Conférence récente avec support visuel
- Tract Gallimard Antidote au culte de la performance
- Son tout récent essai De l’incohérence
Crédits : Louis-Philippe Renaud