Qu’a-t-elle de particulier la course électorale de cette année? Quels sont les enjeux qui tiennent à cœur les Québécoises et les Québécois? Que faut-il surveiller à Sherbrooke? Telles sont les questions que nous avons posées à la directrice de la l’École de politique appliquée, la professeure Isabelle Lacroix, experte souvent consultée lors des courses électorales.
Par Dorian Paterne Mouketou
Une campagne sans thématique dominante
Qu’est-ce que cette campagne électorale a de particulier ou de différent par rapport aux autres? « Je vous dirais deux choses. D’abord, la première particularité de cette élection-là, c’est le fait qu’on n’a pas un grand enjeu. On n’a pas une grande thématique. On n’a pas la Charte des valeurs. On n’a pas le redressement des finances publiques. Il n’y a pas un seul enjeu qui monopolise l’ensemble de la campagne électorale », lance d’emblée la professeure Isabelle Lacroix. « Grosso modo, en termes économiques, le Québec va plutôt bien. On entre dans une phase probablement de réinvestissements publics après des années de vache maigre. Il n’y a pas de problème majeur. La campagne ne tourne pas autour d’un seul enjeu qui a été exigé, soit par les partis politiques, soit par citoyens », poursuit-elle. C’est, selon la spécialiste, une campagne beige et non stimulante.
Un repositionnement éventuel des partis politiques
« La deuxième caractéristique, bien entendu, c’est un éventuel repositionnement partisan. Je sais que les sondages, depuis plus d’un an, placent la Coalition Avenir Québec en tête, mais on a vu aussi sur le territoire québécois, au cours des dernières années, des revirements en pleine campagne électorale », ajoute madame Lacroix, avant de poursuivre sur des questionnements : « Qu’est-ce que ça va donner comme Assemblée nationale? Très honnêtement, je ne le sais pas. Je ne serais pas capable de le prédire. Qui sera le gouvernement d’abord? Est-ce que la CAQ va effectivement former le prochain gouvernement? Est-ce que les libéraux pourraient se retrouver encore au gouvernement? Parce que, généralement, dans les sondages, les libéraux ont moins tendance à s’afficher? Quelle sera la place de Québec solidaire? ». Quelle sera donc la place de chaque parti à l’Assemblée nationale? La réponse reste également incertaine. « Qu’est-ce qui va se passer avec Québec solidaire? Plus que ça, le Parti québécois. Je serais bien mal prise de faire une prédiction. Est-ce qu’effectivement il se retrouvera à être l’opposition officielle? Ce n’est pas ça que les sondages nous disent. Est-ce qu’on pourrait s’attendre à un effondrement complet du Parti québécois? », se demande la directrice de l’École de politique appliquée. Certains sondages prédiraient même que le Parti québécois ne pourrait pas avoir suffisamment de députés pour être reconnu comme formation politique à l’Assemblée nationale.
Doit-on s’attendre à une hausse de la participation électorale, professeure?
« Ce n’est pas évident qu’on va avoir une hausse du taux de participation parce qu’il n’y a pas de gros enjeux. Il va y avoir une partie de l’électorat qui ira systématiquement voter, quelle que soit la campagne, quel que soit le contexte. Et il y a une partie de l’électorat qui est difficile à mobiliser pour l’amener voter », déclare madame Lacroix. Pourrait-on assister à un changement de gouvernement? La population québécoise éprouve un besoin de changement. « On sent que le Parti libéral a de la difficulté à gérer cet élément-là. Je pense qu’il y a une partie de la popularité de la Coalition Avenir Québec qui repose sur le fait qu’il n’a jamais pris le pouvoir et que ce serait différent. Cette volonté de changement là, on la sent », renchérit-elle.
Des jeunes de plus en plus de centre-droit ou de droite?
« Vous avez probablement vu comme moi, récemment, les sondages un peu surprenants qui confirment la tendance que les jeunes se situent davantage du côté des partis qui sont de centre-droit ou de droite : le CAQ et le Parti libéral. Il est intéressant de voir que les jeunes, comme la population (les jeunes ne sont pas différents en cette matière), se sentent un peu plus rejoints par les idées de centre-droit que de centre-gauche, comme le propose Québec solidaire », diagnostique-t-elle.
Québec solidaire prend-elle quand même sa place? « Ce que je trouve intéressant de cette campagne-là, avec Québec solidaire cette année, c’est qu’on l’entend davantage. Et comment fait-on pour l’entendre davantage? [Le parti] une attention médiatique plus importante », dit madame Lacroix. D’après elle, le défi de Québec solidaire est de faire reconnaître ses propositions comme « des propositions crédibles, qui sont applicables et qui ne relèvent pas que d’un idéal un peu utopiste ». Le parti a gagné cette crédibilité, croit la spécialiste, sur l’enjeu de la gratuité scolaire et du salaire minimum.
Luc Fortin : entre popularité et grognement populaire
Le député-ministre sortant de Sherbrooke, Luc Fortin, se trouve dans une situation à la fois confortable et menaçante. « M. Fortin a un immense avantage : celui de la notoriété. Et ça joue énormément chez les gens qui votent pour le candidat. Vous savez, il y a des électeurs qui votent pour le parti et des électeurs qui votent pour le candidat. M. Fortin a l’avantage d’être très connu dans Sherbrooke. C’est un ministre qu’on a vu et entendu, qui gérait des dossiers nationaux, mais aussi locaux », note la professeure. « Cependant M. Fortin est un libéral, et il fera face lui aussi à la volonté de changement. C’est-à-dire que dans Sherbrooke, comme dans le reste du Québec, il y aura une volonté de changer l’équipe gouvernementale en place pour voir si on ne pourrait pas faire autrement », fait-elle remarquer. Mme Lacroix pense que tous les autres candidats face à M. Fortin ont le défi de la notoriété.
Les débats électoraux sont donc déterminants pour les électeurs : « Les débats, ce n’est pas banal. Tant au débat des chefs qu’au débat des candidats, ce n’est pas tant dans le contenu que les citoyens vont faire de grands gains. Si on veut savoir le contenu, on va lire le programme électoral. Là où c’est intéressant, c’est de voir ressortir la personnalité des gens sous pression », selon la spécialiste. Elle ne souhaite qu’une chose : « J’espère que les citoyens et les étudiants vont être présents, parce qu’on gagne de l’information sur la personne, au-delà du programme ».
Les enjeux électoraux : l’essentiel délaissé…
Au-delà de l’économie qui demeure essentielle et de l’éducation qui prend plus de place, la professeure Lacroix croit qu’il y a un sujet qui a été oublié dans cette campagne électorale. « Je pense que la grande thématique absente jusqu’à maintenant de cette campagne, c’est l’environnement. On entend assez peu de choses de façon générale sur l’environnement. En même temps, c’est peut-être normal que la campagne ne débute pas sur cet enjeu-là, mais les gens sont de plus en plus préoccupés. Et il y a parfois une certaine crainte, une certaine anxiété chez la population que les candidats devraient à un moment donné aborder », conclut-elle.