Par Benjamin Le Bonniec
À l’occasion de la sortie au cinéma ce 29 avril du premier long métrage de fiction de Bachir Bensaddek, Montréal La Blanche, nous avons rencontré le réalisateur montréalais. Présenté au dernier Festival du Cinéma du Monde de Sherbrooke, le film retrace le destin croisé de deux personnages d’origine algérienne dans un Montréal nocturne un soir de Noël. Avec Karina Aktouf et Rabah Aïe Outahia en tête d’affiche, Montréal La Blanche est l’occasion pour le réalisateur habitué à la forme documentaire d’aborder les questions d’intégration et de l’interculturel.
Pièce de théâtre documentaire à l’origine, Montréal La Blanche puise son inspiration dans cette forme documentaire. L’histoire a commencé alors que Bachir Bensaddek sortait dans la rue, pour suivre les gens, leur poser des questions et par la suite d’en faire un montage, d’en ressortir les phrases, les propos pour les présenter au théâtre. C’est avec le désir de s’écarter de ses balises que le réalisateur d’origine algérienne a souhaité porter à l’écran cette fiction qu’il a lui-même écrit à l’origine. «Depuis mes études de cinéma, j’ai toujours eu envie de faire de la fiction et de travailler avec des comédiens. C’est un voeux que j’avais depuis longtemps. Le prétexte a été cette pièce de théâtre, qui était d’abord une pièce de théâtre documentaire.»
Le film est l’occasion de mettre la lumière sur la véritable réalité de ces gens issus de l’immigration dans une ville comme Montréal qui se revendique multiculturelle et où pourtant les clivages ethniques et culturels sont palpables et réels. «Honnêtement, j’avais envie d’aller au-delà des étiquettes qui se portent souvent sur des appréciations culinaires. On a souvent l’impression que la culture c’est la culture culinaire.» Bachir n’hésite pas à faire le lien avec Dheepan, le dernier film d’Audiard, présenté également au Festival du Cinéma du Monde de Sherbrooke et Palme d’Or à Cannes. «Le propos reste différent, on est face à un personnage hanté par son passé qui arrive dans un environnement hostile. Ici, la seule chose que j’avais envie de rapporter c’est que ces personnages ont des vies au-delà des étiquettes.»
Lui-même issu de l’immigration, le réalisateur a débarqué à Montréal à l’âge de 19 ans. «Mais je suis arrivé dans la condition idéale de l’étudiant.» Et quand l’Algérie subit des attentats terroristes sur son territoire durant les années 1990, Bachir vivait une sorte de «culpabilité par absence», ce qu’on appelle le complexe du planqué. «J’ai puisé l’inspiration dans mon histoire personnelle tout en la magnifiant, je n’ai pas eu cette dimension dramatique dans mon parcours. En projetant dans ces deux personnages des questionnement que j’avais, j’ai voulu les confronter alors qu’ils n’étaient pas au même point dans leur parcours migratoire.»
Ce soir de Noël qui tombe en plein Ramadan est l’occasion de faire converger le destin de deux algériens alors que ressurgit un passé dont ils se croyaient tout deux débarrassé. Amokrane, chauffeur de taxi, recueille Kahina, vedette pop algérienne déchue, et ce taxi deviendra le théâtre de leurs drames personnelles, de leur solitude réciproque. Bachir Bensaddek porte alors un regard singulier sur la métropole montréalaise, une ville cataloguée multiculturelle mais où les clivages persistent au quotidien. «Souvent les rapprochements existent avec ceux qui ne viennent pas de Montréal, ceux originaires d’ici ont déjà leurs potes, leurs familles, etc… Alors les groupes se forment avec ceux qui partent de rien.»
Même au sein des différentes communautés, ceux-ci existent, une scène avec Kahina refusant d’entrer dans un café met en exergue cette dimension actuelle, notamment dans le contexte mondiale actuel avec l’occidentalisation du djihadisme. «Ces attentats à répétition sont dramatiques, tragiques et au sein des communautés à l’étranger le clivage s’accentue d’une certaine manière. À chaque attentat, il y a plusieurs lectures possibles, ce qui n’arrange rien au sein des communautés arabe-musulmanes.»
Film de rencontre, le choix d’intégrer le scénario le jour de Noël et en plein Ramadan exprime la volonté de Bachir de favoriser la rencontre de deux algériens alors que la majorité de la population passent les fêtes de fin d’années entre amis, en famille. Aussi, le réalisateur exprime sa volonté de mettre en évidence la singularité d’une femme dans ce contexte, qui a sa vie de mère, de femme en tant que telle. «La perspective d’une émancipation totale, elle est là, elle existe, elle est pas facile.Il faut l’assumer, malheureusement l’immigration ça change notre point de vue sur notre vie et sur ce qu’on est. Cette femme là a fait table de rase de son passé pour devenir la personne qu’elle est. Par l’entremise du chauffeur de taxi qui lui ne veut rien oublier, je veux montrer que comme individu on ne peut pas faire table rase du passé et nier ce qu’on a eu. Il faut qu’on utilise les accidents, les soubresauts, les obstacles pour se construire et pour affronter ce qui arrive.»
Le film est programmé à partir du 29 avril à la Maison du Cinéma de Sherbrooke. Pour plus d’informations sur le film, c’est par ici.
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