Socialisation genrée: responsable de l’inégalité hommes-femmes ?

Par Raphaëlle Paradis- Lavallée

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Dans mon précédent article, j’ai évoqué très brièvement l’importance de la socialisation dans les différences hommes-femmes et, ultimement, dans les inégalités qui perdurent entre ces deux groupes. Or, ce concept mérite d’être clarifié. Comment la société apprend-elle aux individus à agir conformément au genre qui leur est attribué?

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Le terme socialisation fait référence au processus par lequel l’enfant intériorise les divers éléments de la culture (valeurs, normes, croyances, règles de conduite) et s’intègre à la vie sociale (Larousse, 2015). Le genre joue dans ce processus un rôle primordial: on enseigne aux enfants des normes et comportements spécifiques selon leur genre. C’est ce qu’on appelle la socialisation genrée. Les spécialistes des neurosciences débattent actuellement de l’importance de la biologie versus de l’environnement dans les différences de genre. Bien que cette question soit loin d’être résolue, il est clair qu’une part très importante – voire la plus importante – des distinctions existantes entre les hommes et les femmes est issue de l’environnement dans lequel l’enfant grandit (Fine, 2010).

Dès la naissance, les parents agissent inconsciemment de manière différente avec l’enfant selon son sexe assigné. Par exemple, les parents passent plus de temps à tenter de faire sourire une fille, mais offrent davantage de stimulations physiques aux garçons (Moss, 1967). Il n’est donc pas étonnant que les garçons développent ensuite un comportement actif centré sur la force physique et les filles un comportement passif centré sur l’environnement social. Bien sûr, les parents ne cherchent pas à mal faire. Ils ne font que reproduire inconsciemment les stéréotypes qu’on leur a inculqués.

Au-delà de l’influence parentale, l’ensemble des personnes significatives qui entourent l’enfant conditionne ces comportements en renforçant certaines attitudes et en en punissant d’autres (Shakin et Sternglanz, 1985). Ainsi, le garçon sera plus fermement rabroué s’il pleure, tandis que la fillette sera encouragée à exprimer ses émotions. Une fille sera davantage punie si elle se salit ou brise ses vêtements, alors qu’un tel comportement sera plus accepté venant d’un garçon. Le message sous-jacent est clair: tu peux pleurer si tu es une fille et tu peux te salir si tu es un garçon, mais tu ne dois pas adopter les comportements de l’autre sexe.

Par ailleurs, les jouets offerts aux enfants ont un impact direct sur le développement d’attitudes spécifiques au genre. On propose aux filles des poupées, des accessoires de cuisine, du maquillage, leur apprenant ainsi les rôles sociaux qu’elles doivent occuper: ceux de mère, de femme au foyer ou d’objet sexuel désirable. De leur côté, on propose aux garçons des ballons, des camions, des costumes de super-héros, des armes-jouets, des blocs de construction, leur apprenant de ce fait qu’ils peuvent créer, être forts, changer le monde. Les jouets différents offerts aux garçons et aux filles fixent ainsi les paramètres des zones d’activités assignées à l’un ou l’autre des sexes (Conseil du statut de la femme, 2010).

Finalement, les modèles présentés aux enfants participent également à la socialisation genrée. Par ce qu’on nomme apprentissage social, les enfants observent les comportements présentés à la télévision, dans les livres, par les adultes de leur entourage, à l’école, à l’aréna, au service de garde, dans les films et adoptent les attitudes qui font l’objet de renforcement (Bandura, 1977). Par exemple, si quelqu’un voit à la télévision une fille recevoir de l’amour, de l’attention ou un cadeau parce qu’elle a pris soin de son apparence, cette personne pourra chercher à prendre soin de son apparence afin d’obtenir le même renforcement. Bien sûr, les garçons et les filles s’identifient davantage aux modèles de leur propre sexe. Or, les femmes sont encore souvent – bien que le nombre de modèles féminins forts et solides soit en augmentation – présentées dans les médias pour leur apparence physique, c’est-à-dire comme des objets sexualisés et passifs. Pensons ici spécialement aux films pour enfants où les femmes se trouvent quasi systématiquement dans le rôle de la princesse dont le seul but est de trouver un homme pour donner du sens à son existence. Par opposition, les hommes sont souvent représentés dans les médias comme des leaders, des héros, des comiques.

En somme, le processus de socialisation genrée est complexe et composé de nombreux aspects de la vie quotidienne. Il prend place dès la naissance et apprend à l’enfant, tout au long de son développement, quelle est sa place en fonction de son sexe biologique. Les attitudes des parents, leurs gestes, leurs choix, les renforcements et punitions reçus, les types de jouets, les médias sont tous des messagers qui inculquent chaque jour de leur vie aux garçons et aux filles un rôle de genre où ils doivent performer pour s’adapter à la société, être acceptés par leurs pairs et développer des relations sociales satisfaisantes. Les stéréotypes que la société transmet aux enfants selon leur sexe biologique ont une influence déterminante sur les comportements qu’ils adoptent une fois adulte, et participent donc directement aux différences hommes-femmes. Or, l’adoption du stéréotype féminin de douceur et de passivité place les femmes dans une position subordonnée aux hommes dont le stéréotype pousse plutôt à l’action et à la force, donc à l’exercice du pouvoir.

C’est ainsi que la socialisation différenciée selon le genre mène à l’inégalité sociale. Les luttes féministes doivent donc agir en mettant au jour ces multiples petits exemples qui, bien qu’ils apparaissent individuellement négligeables, forment un système complexe. À quand les mêmes jouets pour les garçons et les filles, des héros variés peu importe le genre et des modèles de femmes actives et fortes? Peut-être pour bientôt, si nous nous y mettons toutes et tous.


© JeongMeeYoon

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