Par Vanessa Exama
Moi, mes souliers ont beaucoup voyagé… De Molière à Félix Leclerc, la langue française a su traverser les époques et conserver les secrets de sa beauté. Bien qu’elle s’avère la cinquième langue la plus parlée au monde, avec 274 millions de locuteurs, elle semble pour plusieurs être menacée au Québec. Dernièrement, les médias et les partis politiques québécois ont mis en lumière la crainte d’une francophonie en voie d’extinction. Le débat opposant le seuil d’immigration à la langue française est à nouveau sur la table. Les propos du Premier ministre du Québec, François Legault, en témoignent : « Il y a un risque que nos petits-enfants ne parlent plus français ».
Une crainte partagée, des mesures justifiées
Certains partis politiques, regroupements et citoyens considèrent l’immigration non francophone comme un « risque » pour la langue française au Québec. Pour ce faire, le Premier ministre du Québec, François Legault, propose donc de diminuer les seuils d’immigration de 50 000 à 40 000 en 2019, même si cela implique la réunification familiale. Cette coupe importante équivaut à diminution de 24 % comparativement au nombre admis en 2017.
Le Parti québécois (PQ) a quant à lui affirmé qu’il aurait opté pour une réforme plus stricte n’acceptant qu’une immigration francophone. Québec solidaire ne compte pas toucher aux seuils d’immigration actuels. Le Parti libéral du Québec, lui, n’entend pas non plus réduire le nombre de nouveaux arrivants au Québec, puisque l’ancien Premier ministre Philippe Couillard juge qu’une diminution des seuils risque de limiter le développement économique à long terme de la province.
Une réalité historique méconnue de plusieurs
L’histoire du Québec nous démontre que la conception d’une langue française menacée avait bel et bien raison d’exister, partage la professeure de linguistique Mireille Elchacar. Cette menace survient après la Conquête anglaise. Le français demeure tout de même la langue maternelle, familière, la langue de l’Église et de l’éducation de nombreux Canadiens français. Sous la domination politique, économique et militaire des Britanniques, les francophones voient leur langue absente dans ces domaines. La fragilité du français est également perceptible dans les années 50 et 60, lors de l’essor de l’industrie automobile dans la province. Le vocabulaire français restreint et peu utilisé dans ce milieu traduit un manque de vitalité de la langue encore existant aujourd’hui.
Le français ausculté par l’UdeS
L’entrevue avec la professeure de linguistique Mme Elchacar nous permet ainsi d’identifier trois raisons pour lesquelles le français n’est plus aussi menacé aujourd’hui au Québec :
- La situation du français au Québec n’est plus la même qu’au 19e siècle. On le constate par l’amélioration du statut sociopolitique des francophones au Québec, dorénavant actifs dans les sphères économique, juridique et politique. Le français a pu se frayer un chemin dans tous les domaines et être présent dans tous ses registres.
- La création d’ouvrages de référence qui décrivent et standardisent le français québécois permet d’assurer la place du français dans la province. Le dictionnaire Usito, produit ici à l’Université de Sherbrooke, en est un exemple.
- L’instauration d’institutions et de lois protégeant la langue française a permis plusieurs avancées. Elle est la seule langue officielle de la province depuis Robert Bourassa en 1976. En plus de la loi 101 adoptée un an plus tard, de nouvelles lois sur l’enseignement assurent que l’éducation soit dispensée en français aux francophones et aux nouveaux arrivants.
Finalement, l’entrevue portant sur l’état actuel de la langue française au Québec nous informe que l’influence anglo-saxonne semble désormais ne plus être une menace importante au français au Québec.
L’immigration vs le français : un faux débat?
L’ancienne Ministre des Relations internationales et de la Francophonie, Christine St-Pierre, considère que le français au sein de la province n’est pas menacé. Le professeur André Jacob, sociologue de formation, du même avis, affirme que l’immigration comme menace de l’avenir du français est un faux problème. Quant à lui, la faute d’une langue française fragilisée ne devrait pas être mise sur les personnes immigrantes, mais d’abord sur l’importante réduction de programmes de francisation et de soutien à l’intégration des immigrants observée depuis ces 15 dernières années.
Il est vrai qu’à Montréal, la vitalité du français est à surveiller, nous indique les Indicateurs de suivi de la situation linguistique au Québec. Sur une période de 20 ans, le pourcentage de la population montréalaise ayant comme langue maternelle le français est passé de 52% à 47%, ce qui correspond à une baisse de 5%. Cependant, dans l’ensemble du Québec, la situation du français paraît nettement plus stable : le pourcentage de la population ayant le français comme langue maternelle était de 80% en 2017, comparativement à 82% en 1997.
D’un œil plus positif, le sociologue André Jacob met en lumière le fait qu’entre 2006 et 2015, les quatre principaux pays d’origine des immigrants et des immigrantes dans la province étaient la France, le Maroc, l’Algérie, et Haïti, des pays où le français occupe une place importante. Il spécifie aussi que la connaissance du français constitue l’un des critères déterminant la sélection de la majorité des immigrants économiques. Dans cette même ligne de pensée, l’Office québécois de la langue française démontre une hausse de l’usage du français dans l’ensemble du Québec. Entre 1971 et 2011, l’utilisation du français est effectivement passée de 81,9% à 82,5%. De plus, depuis l’adoption de la loi 101, on remarque que le pourcentage de la population comprenant le français est passé de 81% en 1961 à 95% en 2012.
En somme, l’immigration au Québec ne représente pas une menace en soi. Il s’agirait au contraire d’une solution face à l’enjeu de la population vieillissante dans la province. La réelle difficulté en ce qui concerne la protection de la langue française réside dans la diminution des programmes permettant l’intégration des immigrants.
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Crédit Photo @ Jacques Nadeau, Le Devoir