Par Véronik Lamoureux
OPINION/Voilà sans doute la pire chose qui pouvait arriver au Québec : une pandémie de personnes âgées et de gens « faibles ». Dans certains pays, les aïeuls représentent la plus grande des richesses, la sagesse incarnée, des gens à protéger et dont on doit prendre soin. Au Québec, soyons honnêtes, nos vieux sont considérés comme des meubles, des gens qui méritent de mourir parce qu’ils ont fait leur temps, des gens dépassés, des boulets qu’on stationne avec un peu trop de soulagement dans des CHSLD insalubres. Il en est de même pour les pauvres personnes atteintes de comorbidités : trop faibles, on trouve donc normal qu’elles soient emportées par la COVID-19. Québec, il est temps que je te l’avoue : tu me donnes vraiment mal au cœur.
Laissez-moi vous transporter dans un monde parallèle : voilà 13 mois que nous sommes en plein cœur d’une pandémie impitoyable qui tue… des enfants. Vos jeunes amis, votre blonde, votre chum, votre « iel » ou votre whatever it is toi woke personne… iels crèvent en quelques heures, un tuyau enfoncé jusqu’au fond de la trachée, tout seuls. Foudroyante, cette pandémie emporte brutalement tous ceux que vous aimez, comme ce fut le cas de la grippe espagnole peu après la Première Guerre mondiale.
Laissez-moi maintenant sortir de cette charmante allégorie et être parfaitement claire : si la pandémie de la COVID-19 tuait des enfants ou même des membres de la population active, le discours social actuel serait complètement différent. « Vivons avec le virus » deviendrait probablement une tout autre chanson, parce que nous nous sentirions pas mal plus concernés.
Vous êtes sans doute tous d’accord avec moi sur ce point, quand des enfants meurent, on s’indigne, on sort dans les rues, on hurle à l’injustice. Quoi de plus normal?
Seulement, ce que je trouve moins normal et même un peu beaucoup franchement dégueulasse, c’est que la mort d’un enfant ou d’une personne jeune et en santé soit plus importante socialement que la mort d’un aîné ou d’une pauvre personne affaiblie par la maladie. Personnellement, je trouve ce discours insupportable et surtout inacceptable.
Nostradamus de la mort
On les voit surgir de partout, ces voyants nouvellement capables de prédire qu’un patient serait sans doute mort anyway, même sans l’intervention de la COVID-19. Ce sont les mêmes champions et championnes qui trouvent pertinent d’apposer des smileys ricaneurs sur des publications faisant état des décès quotidiens s’ajoutant au sordide bilan de la COVID-19 au Québec. Huit morts aujourd’hui, ha ha ha! Bravo, Kéveune, toi qui as étudié à l’Université de la vie, pour cette brillante contribution au deuil québécois!
Oui, ce patient serait sans doute mort, comme nous tous, un jour ou l’autre. Peut-être pas aussi vite. Peut-être moins péniblement et entouré des siens, aussi. Peut-être pas le même jour, peut-être plutôt dans dix ans.
Je me questionne simplement sur le moment exact où les citoyennes et citoyens moyens ont obtenu le droit de déterminer qui mérite de mourir et quand. Je soupçonne vraiment que ce soit en même temps que la dégradation de la qualité de l’humour québécois, #jerisdesmorts.
Je change de paragraphe, car je m’apprête à être vraiment désobligeante : si après 13 mois de pandémie et 10 709 morts tu trouves quoi que ce soit de drôle dans cet événement tragique, je t’informe que tu es un sociopathe. Un véritable sociopathe. Ou un cas de déni très grave, appelle un psychologue et ça presse.
Live free or die
Nos voisins américains de l’État du New Hampshire ont apposé cette magnifique phrase sur toutes les pancartes de l’autoroute : Live free or die! Cette croyance, je vous en informe aujourd’hui, est la principale raison pour laquelle 13 mois plus tard, nous sommes encore confinés et que le gouvernement décide à quelle heure nous devons rentrer chez nous. C’est une idée qui, à première vue, se tient. Extrêmement égocentrique, mais elle se tient. Responsable de la mort de centaines de personnes âgées et de concitoyens, mais elle se tient.
Pourquoi s’empêcher de vivre si on va tous mourir un jour? Imaginez si on s’empêche de vivre et que BAM, on meure l’année prochaine! Une année complète de perdue!
Oui, absolument. Par contre, si depuis le tout début tu avais suivi les normes sociosanitaires et que tu avais fait ta part, nous n’aurions pas perdu une année. Ben non. On aurait probablement maîtrisé la pandémie comme c’est le cas en Asie, en Australie et en Nouvelle-Zélande. C’est en partie à cause de gens comme toi que tous les efforts collectifs sont inutiles, puis qu’on perd quand même une année de notre vie, même toi dans le fond. Parce qu’on va se le dire, un party qui coûte 1 600 $, ça coupe net ton budget pour tes prochaines activités irresponsables.
Depuis le début de la pandémie, les gens marchent davantage selon les plus récents sondages. Mais il y a autre chose qui semble être parti prendre une longue marche : la logique collective. J’ai bien hâte qu’elle revienne.
Raccourcis intellectuels et autres niaiseries
Pour conclure cette chronique, je propose de lister deux des raccourcis intellectuels que je ne suis personnellement plus capable d’entendre. Cette courte liste soulagera mes compatriotes logiques, puis surprendra sans doute Kéveune.
« Vous ne trouvez pas bizarre que la grippe n’existe pas cette année? C’est louche. »
Réponse : Premièrement, la grippe existe cette année, il ne faudrait quand même pas charrier. Deuxièmement, la COVID-19 est trois fois plus contagieuse que la grippe saisonnière, ce qui explique que le Purell que tu appliques frénétiquement sur tes mains et ton masque (même mal mis) suffit pour éviter l’influenza, la gastro et la plupart des rhumes banals.
« Le gouvernement prend plaisir à nous donner des ordres et à tout fermer. »
Réponse : Je ne sais pas t’étais où lors des derniers points de presse, mais selon mon étude très rudimentaire (quasi inexistante) du langage non verbal, François Legault, Régis Labaume, Justin Trudeau et tous les autres politiciens ont un indice très bas de plaisir en ce moment.
Il est là, le véritable problème des Québécois : on nous demande gentiment de respecter les « consignes » sociosanitaires, comme un parent demanderait gentiment à un enfant de ne pas tirer l’oreille du chat. Pourquoi obéir s’il n’y a pas de réelles conséquences? Certains éducateurs diront que la méthode coercitive n’est pas souhaitable, qu’on doit discuter avec l’enfant (citoyen) et lui expliquer pourquoi c’est si important pour papa Legault que les dividus portent leurs tits masques sur leurs tites frimousses. Personne ne sera fusillé sur place s’il n’obtempère pas, personne ne finira dans une prison turque avec seulement un seau pour faire ses besoins et une goulache aux cafards pour souper, personne ne devra payer une amende d’un montant si élevé qu’il devra réhypothéquer sa maison. Non.
J’ai des nouvelles pour vous, amis lecteurs et amies lectrices rebelles : la liberté que vous réclamez dans les rues, elle ne reviendra pas tant que vous ne vous conformerez pas aux « consignes ». Le virus n’en a vraiment rien à cirer que vous n’ayez pas vu votre mère depuis six mois, que vous ne puissiez plus faire votre parcours favori d’arbre en arbre ou vous rendre à Cuba pour faire bronzer vos varices ou vomir sous un palmier. La liberté, elle a un prix : le prix d’efforts collectifs. Collectif, pour ceux qui semblent l’ignorer, cela signifie que ça implique la personne âgée qui, selon toi, devrait mourir parce qu’elle a fait son temps, de même que la personne immunosupprimée obligée de prendre l’autobus que tu mets en danger quand tu agis comme un imbécile.