Par Louis-Philippe Renaud
*Ce texte fait partie d’une série de dix articles consacrés au besoin de sortir d’une trajectoire non durable.
Hugo Séguin porte un regard lucide face aux enjeux écologiques. Il appelle de ses vœux des tribunes pour des idées radicales portées par des leaders responsables. Il nous met en garde : pour que l’avenir devienne collectif et souhaitable, préoccupons-nous autant d’environnement que des besoins bien concrets, comme ceux du pain et du beurre.
Que pense Hugo Séguin de l’article scientifique résumé dans mes précédents textes au sujet des leviers pour un monde juste et durable ? Reconnu par son expertise en énergie, en politique climatique et en économie verte, son propos mérite le détour.
Il précise d’entrée de jeu que l’article sur les leviers fait partie d’un ensemble d’écrits scientifiques qui contribuent au développement des idées. Cependant, il importe pour lui de reconnaître que « le monde n’est pas mené exclusivement par les idées ».
En effet, les idées doivent composer avec les conditions matérielles de l’environnement qui influencent leurs déploiements. Il donne l’exemple de la mobilité : « c’est facile pour moi d’être un écolo de ville, puis de ne pas avoir de char depuis 25 ans parce que j’habite près d’une station de métro ».
Les valeurs influencent aussi le réel, car « du moment où on a une valeur de liberté, on a eu tendance à s’étaler sur le territoire parce qu’on voulait sa maison avec son jardin et son auto ». D’ailleurs, habiter en région éloignée des grands centres contraint à des limites en matière de mobilité durable : « les valeurs et les conditions matérielles sont interreliées dans des cercles de rétroactions positives ou négatives ».
« Un article qui plonge profondément, qui apporte de la nouveauté et qui regorge de bonnes idées a un effet de percolation. Les auteurs et autrices s’en servent dans leur propre cours, d’autres sans inspirent pour la leur et, de façon indirecte, les nouvelles idées scientifiques font leur chemin dans la société. » — Hugo Séguin
Vaste programme
Son avis sur l’article des leviers ? : il le présente comme un vaste programme encore loin du réel.
« Oui, on parle plus aujourd’hui de décroissance, mais non, on ne décroit pas pour autant. (…) Oui, on parle de consommer et produire moins, mais ce n’est pas la majorité. (…) Alors, l’article pose une vision qui reste encore à mettre en œuvre dans une société comme le Québec ou dans n’importe quelle autre. »
Il importe pour lui de remettre en question le système de valeurs qui sous-tend le système économique, qui nous amène à consommer et à produire toujours plus.
« Aujourd’hui, si on veut être à la hauteur des défis environnementaux, on ne peut plus se contenter de mesurettes qui viennent atténuer des impacts sur l’environnement… on est allé au bout de ce que pouvait donner le développement durable. »
Maintenant, « si on veut des changements importants pour changer de direction, il faudra des innovations radicales, aller à la racine même des problèmes et proposer des solutions qui vont changer complètement la situation. » Hugo persiste. « Fini les petites réformes qui ne changent pas fondamentalement les choses, on est dus pour des changements profonds dans la société, ce que j’appelle des idées radicales. »
Lucide, il est bien conscient que les idées radicales ne feront pas leur chemin si elles ne sont pas adoptées par une majorité. « Elles doivent d’abord être présentées sur la place publique, puis adoptées par des pans de plus en plus importants de la société. » Pour ce faire, il faut donner une tribune à ces idées.
« La décroissance, il faut en parler de plus en plus pour que les gens puissent se poser la question : est-ce que c’est une bonne idée ? Est-ce que ça s’applique à moi ? Est-ce que ça devrait s’appliquer au reste de la société ? Là, il y a place à un débat. Si l’idée est assez bonne et assez forte, elle est adoptée par de plus en plus de gens jusqu’à ce qu’elles deviennent normales ou naturelles. C’est le parcours typique d’une idée radicale ! »
Hugo souligne que l’article des leviers porte des idées radicales. Comme il le mentionnait, « les idées mènent le monde, alors les conditions sur le terrain vont déterminer aussi la façon dont les gens vont interagir avec ces idées ». Ainsi, il faut en même temps changer nos valeurs et les conditions objectives de la population.
Par exemple, intégrer plus de transports en commun et offrir des logements abordables peut à la fois réduire les inégalités et rendre accessibles des commerces de proximité pour que, de cette façon, un mode de vie durable puisse advenir.
Il faut aussi que les solutions proposées soient compatibles avec celles qui préoccupent, avec raison, une part grandissante de la population. Les enjeux de pain et beurre sont bien réels ici et ailleurs…
Appel au leadership
Au fur et à mesure que l’environnement, le social, la géopolitique et la démocratie se dégradent, « on va avoir besoin d’aide partout dans la société ». Hugo en appelle alors au leadership rassembleur pour encourager et montrer la voie vers quelque chose de différent.
Face à une crise, il y a deux options : soit on fait face à la situation collectivement, soit on décide de s’arranger avec nos proches pour en tirer profit, au détriment des autres.
Idéalement, ces leaders stimulent l’appropriation d’innovations radicales et de nouvelles normes à adopter en lien avec les points de levier, tels qu’une vision d’une vie bonne, produire moins et consommer moins. Pour y arriver, les individus doivent se réapproprier les valeurs de responsabilité : « plus de gens seront persuadés qu’ils ont une responsabilité par rapport aux enjeux environnementaux, plus ils vont adopter une position de leadership dans la société ».
Des volontaires ?
Crédits: Hugo Séguin