Agir en faveur d’un avenir plus juste 

Par Louis-Philippe Renaud 

Geoffroy Boucher est d’avis qu’il existe un lien très fort entre les inégalités économiques et sociales, et les inégalités liées aux changements climatiques. 

*Ce texte fait partie d’une série de dix articles consacrés au besoin de sortir d’une trajectoire non durable. 

Formé en économie politique et sociale, Geoffroy Boucher travaille depuis deux ans à l’Observatoire québécois des inégalités. Habile communicateur, ses fréquentes interventions publiques contribuent à sensibiliser la population et la classe dirigeante aux multiples enjeux liés aux inégalités. Il nous explique en quoi celles-ci constituent un facteur de résonance pour d’autres problématiques sociales. 

Quand je lui parle de justice climatique, Geoffroy me répond sans hésiter : « En général, les inégalités sont le résultat soit du contrôle des ressources, soit de leur usage excessif par une minorité de personnes au détriment des autres. Ce qui s’applique clairement au cas de la crise climatique, où il existe un lien très fort entre les inégalités économiques et sociales, puis les inégalités liées aux changements climatiques. » 

Un cercle vicieux 

La littérature scientifique évoque même un cercle vicieux. Les personnes les plus pauvres sont celles qui sont les plus touchées par les bouleversements climatiques, mais elles sont aussi les moins aptes à y faire face et à s’en remettre. L’inégalité initiale entraîne donc des pertes de revenus et de moyens pour se sortir de la pauvreté, de manière toujours plus disproportionnée.  

Geoffroy insiste sur le fait que ce même groupe contribue le moins aux enjeux climatiques. Sur Terre, les 1% les plus riches sont responsables d’environ 16% des émissions mondiales, soit autant que le 66% le plus pauvre! Il ajoute : « En 2017, au Québec, les dépenses de consommation du 20% de la population la plus riche étaient responsables d’émissions en moyenne trois fois plus élevées que celles des ménages moins nantis. » 

Selon cet expert, cette question ne concerne pas uniquement la sensibilité aux injustices sociales. De manière « très froide et purement économique », plus les inégalités sont élevées, plus la lutte contre la pauvreté devient difficile, plus la santé de la population en souffre, et plus « ça engendre des coûts pour ta société »

Geoffroy n’est pas le seul à souligner l’importance de « prendre à bras-le-corps » ce grand défi de société. Plusieurs spécialistes demandent également des investissements sur le long terme. Alors, qu’est-ce qui entrave cet élan? 

Le piège électoral 

Comme le souligne Geoffroy, « investir dans le présent et pour une longue période quand les impacts positifs se font sentir 10, 20 ou 30 ans plus tard », rend l’option moins attractive sur le plan politique. Le système électoral, avec ses échéances de quatre ans, incite les élues et élus à privilégier des résultats rapides, au détriment de réformes qui agiraient efficacement sur le long terme. 

L’expert souligne que la discipline économique s’est considérablement diversifiée au fil des dernières décennies, en tissant des liens avec d’autres disciplines, notamment l’écologie. Toutefois, ce foisonnement d’idées ne parvient pas toujours à atteindre la classe dirigeante, qui a souvent une vision vieillissante de l’économie. Or, la complexité des problèmes sociaux et environnementaux actuels exige une approche plus globale. 

Geoffroy insiste néanmoins sur l’urgence d’agir, notamment en ce qui concerne la crise climatique. « Plus tu tardes à agir, plus les coûts vont être importants », affirme-t-il. Le secteur privé, et en particulier celui des assurances, réalise l’ampleur des enjeux. Les changements climatiques ont déjà un impact économique, avec des aléas qui affectent directement les infrastructures. 

Mieux répartir la richesse 

Geoffroy aborde aussi la question de la répartition des richesses, un facteur crucial pour briser le cercle vicieux des inégalités. Il pense qu’un système fiscal plus progressif, où le patrimoine serait davantage imposé, pourrait favoriser une redistribution plus équitable. « Le revenu est imposé de manière relativement progressive au Québec, mais le patrimoine, lui, est peu imposé », souligne-t-il. Un meilleur contrôle de l’impôt sur les biens et une meilleure redistribution des ressources permettraient de réduire les inégalités, un enjeu central pour l’avenir. 

Geoffroy évoque également le besoin de garantir les moyens nécessaires pour vivre dignement. Il plaide pour un soutien au revenu, ainsi que pour des investissements dans le logement social et communautaire, afin de résoudre la crise du logement qui touche plusieurs familles. Selon lui, la redistribution de la richesse a des effets en cascade sur d’autres enjeux sociaux, comme celui du climat. 

La méritocratie : statistiquement fausse 

L’expert critique le mythe de la méritocratie, en rappelant que les inégalités de départ influencent considérablement les trajectoires de vie. Une récente étude de l’Observatoire québécois des inégalités révèle qu’au Québec, les jeunes dont les parents sont les mieux nantis ont environ six fois plus de chances d’être eux-mêmes dans cette situation. Geoffroy nous interpelle : « Ce phénomène s’accélère et augmente au fil du temps en plus de réduire la capacité des personnes les plus vulnérables à sortir de la pauvreté. » 

Les inégalités ne sont pas naturelles 

Malgré ces constats inquiétants, Geoffroy demeure motivé. Il souligne l’importance de l’engagement de la communauté étudiante et de la société civile. En effet, en tant que votants et forces sociales, ils peuvent influencer les politiques publiques et exiger des mesures de redistribution de la richesse. « Les inégalités ne sont pas naturelles, rappelle-t-il. Elles répondent aux règles du jeu mises en place par nos décideurs, et nous pouvons les changer. » 

Geoffroy évoque des exemples de progrès, en particulier au niveau municipal, où des actions concrètes sont prises pour lutter contre les inégalités et la crise climatique. Même si ces avancées sont modestes, elles lui permettent de conserver un certain espoir. « Collectivement, on peut parfois faire bouger l’aiguille dans la bonne direction. » 

L’appel de Geoffroy Boucher est clair : il faut repenser les priorités politiques et économiques pour affronter les défis à long terme. Les inégalités, qui sont étroitement liées à la crise climatique et à celle de la biodiversité, ne sont pas une fatalité. Grâce à des choix politiques éclairés et à des investissements pour l’avenir, il est possible de rompre ce cercle vicieux. On peut ainsi bâtir une société plus juste et plus résiliente. 


  Crédits: Camille Gladu Drouin

  

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