Quand les hommes (non alphas) vivront d’amour 

Par Sarah Gendreau Simoneau, avec des informations d’Emmy Lachance 

Julien Bournival-Vaugeois, influenceur masculiniste, Simon Coutu, réalisateur du documentaire Alphas, et Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l’UQAM, étaient présents à Tout le monde en parle le 10 novembre dernier afin de discuter du documentaire Alphas présenté à Télé-Québec le lendemain. 

Le monde médiatique s’est enflammé dans les derniers jours, surtout sur les médias sociaux, en raison du passage de Julien Bournival-Vaugeois à Tout le monde en parle et de la diffusion du documentaire Alphas, à Télé-Québec, le 11 novembre dernier. Le masculinisme exposé au grand jour par cet influenceur et par le mouvement des «mâles alphas» ne plaît pas à la majorité et fait peur, et pour cause. 

Des idées et opinions dignes des années 50, un rabaissement des femmes et de leur rôle dans la société et des visions de complotistes, voilà ce que proposent Julien Bournival-Vaugeois et Joël McGuirk, dans le documentaire Alphas, réalisé par Simon Coutu. D’ailleurs, Joël McGuirk est le coanimateur du Lucide Podcast qui se défend de véhiculer des idées dommageables envers les femmes, un balado devenu viral, au secours !  

Ce genre d’hommes aux manies et aux pensées toxiques, il y en a plusieurs autres, surtout lorsqu’on remarque une montée de l’extrême droite un peu partout dans le monde (allô la désagréable victoire de Donald Trump aux élections du 5 novembre) …  

C’est épuisant être une femme en 2024. Pour chaque victoire, il faut toujours plusieurs pas en arrière de régression, de masculinistes enragés ou de droits bafoués. Heureusement, on se tient, on n’a pas peur d’avancer.   

Une moitié de victoire 

Quand l’annonce de Tout le monde en parle concernant ses invités du 10 novembre dernier est tombée, c’est une marée de commentaires, de publications et de stories d’influenceuses et de personnalités publiques (féminines, surtout, évidemment) qui a inondé Instagram.  

Il y a un an, Anne-Marie Ménard (@aulitavecannemarie), professionnelle en sexologie, dénonçait déjà le Lucide Podcast en expliquant que ce sont des « hommes misogynes qui essaient de faire passer leur énergie masculine pour de la protection et non du contrôle ». Selon elle, et plusieurs partagent son opinion, « c’est de la masculinité brisée ». Et pas besoin d’être féministes pour dire ça. Le féminisme, c’est un mouvement pour les femmes, pas contre les hommes…  

L’autrice du livre Au lit avec Anne-Marie — La sexualité féminine sans tabous, pour plus de plaisir!, a d’ailleurs lancé une pétition avant la diffusion de Tout le monde en parle afin que l’équipe se rétracte d’inviter ce genre de personnes aux discours rétrogrades et dangereux. « Je pense qu’on doit prôner une représentation médiatique, inclusive, respectueuse des droits des femmes. On est en 2024, c’est la moindre des choses. Les inviter partout pour en faire la promotion et que de plus en plus de gens adhèrent au mouvement, c’est non ! » La pétition a obtenu plus de 25 000 signatures en quelques heures seulement et a été repartagée par bon nombre sur les réseaux sociaux, suivi de plusieurs indignations sur la raison de donner une tribune à ces gars-là.  

Guillaume Lespérance, producteur de l’émission Tout le monde en parle, est également à l’origine du documentaire Alphas. Il en a donc profité pour en faire la promotion lors de l’édition dominicale de l’émission. Le problème n’est pas le documentaire en soi : de montrer ce genre de personnes et de discours à la télé en se posant des questions pour essayer de réfléchir sur ce qu’on peut faire en tant que société, limite, ça passe, parce que des spécialistes et des experts déconstruisent plusieurs croyances qui teintent les discours rétrogrades. Le documentaire met aussi en lumière l’impact que ces discours ont sur les hommes, sur les femmes et sur les jeunes, un impact loin d’être positif. Ce qui est dangereux, c’est que les producteurs d’un tel documentaire sont maintenant conscients des enjeux que ça peut avoir sur la société et qu’ils offrent quand même une tribune à ces discours-là.  

Le documentaire Alphas présente le mouvement masculiniste, tout en démystifiant certains concepts avec des spécialistes sur la question. 

Finalement, Joël Guirk a été remplacé sur le plateau par le professeur de science politique à l’UQAM Francis Dupuis-Déri, qui témoigne aussi dans le documentaire Alphas

D’ailleurs, le « coach en dating » Joël McGuirk s’est dit victime du marxisme et de « l’idéologie woke dominante ». « Vous êtes ridicules, Tout le monde en parle. Je ne pourrai même pas me défendre, pire cheap shot ever. » Pas besoin d’en dire plus, un masculiniste brisé.  

Quant à Julien Bournival-Vaugeois, il a reçu plusieurs critiques, autant sur les réseaux sociaux pendant et après la diffusion de l’émission que sur le plateau. Quelle surprise ! 

L’influenceur, trumpiste autoproclamé et libertarien vivant en Floride, a entre autres mentionné que, selon lui, l’égalité de faits entre les hommes et les femmes est un concept communiste, et que les hommes et les femmes ne sont pas égaux en termes de compétences et d’aptitudes.   

S’en sont suivi des discussions entre les invités, notamment avec la participation de l’expert sur la question Francis Dupuis-Déri. Se positionnant en victime, d’injustice et de doubles standards, Bournival a conclu l’entrevue en se disant « la personne la plus ouverte au monde ».   

Un concept dangereux 

La dangerosité du masculinisme va au-delà de paroles controversées à heure de grande écoute un dimanche soir. Le masculinisme, c’est un discours qui s’appuie sur une prétendue crise de la masculinité. Les masculinistes voient des effets pervers dans les changements apportés par le féminisme, qui nuiraient aux hommes. Par exemple, la perte des repères identitaires, la dévalorisation de la masculinité et de la virilité. Le masculinisme ne s’appuie pas sur des théories, mais plutôt sur des expériences individuelles, qu’il tente de collectiviser.  

Les gars qui s’identifient au modèle « mâle alpha » contribuent à la souffrance des hommes qui commettent des actes de violence pour s’exprimer. Les hommes sont poussés à performer la masculinité… « Il n’y a rien de biologique là-dedans, ce n’est que du construit, explique Anne-Marie Ménard. Un homme souffrant, fragile, qui voit ça, c’est ultra dangereux. »  

Actuellement, une prise de parole s’effectue dans certains médias ou chez certaines personnes qui valorisent le discours selon lequel l’homme doit restreindre la liberté de déplacement de sa femme et contrôler la manière dont elle s’habille, avec qui elle peut ou non entrer en relation ainsi que ce qu’elle peut publier ou non sur les réseaux sociaux. 

Des médias sociaux qui polarisent 

L’arrivée des médias sociaux serait un des moteurs derrière la montée du mouvement masculiniste.  

Si ce mouvement peut paraitre marginal, les experts constatent que de plus en plus de jeunes hommes adhèrent à l’idéologie traditionaliste.   

Selon le réalisateur du documentaire Alphas, les médias sociaux seraient devenus un espace de polarisation pour plusieurs jeunes hommes, qui suivent et écoutent religieusement les vidéos des influenceurs prônant un retour aux valeurs conservatrices. Selon lui, nous serions entrés dans une phase jamais vécue auparavant où les jeunes hommes sont plus à droite que leurs parents.   

D’ailleurs, un sondage CROP réalisé au printemps dernier révèle que 40 % des répondants âgés entre 18 et 34 ans se disent d’accord avec l’affirmation « Le père de famille doit commander chez lui ». Il s’agit d’une augmentation marquée par rapport aux 31 % des répondants qui croyaient la même chose en 2014.   

Aux États-Unis, on constate que le vote de la génération Z est un des facteurs les plus importants qui a mené à l’élection de Trump le 5 novembre dernier. Ce dernier aurait réussi à cumuler le vote de 42 % des électeurs âgés entre 18 et 29 ans.   

En politique canadienne, ces opinions se reflètent dans les intentions de vote. En effet, les Canadiens âgés de 18 à 34 ans placent le chef du Parti conservateur Pierre Poilievre en tête de leurs intentions de vote. La prochaine élection fédérale sera l’occasion pour les jeunes de confirmer ou d’infirmer cette tendance.  

Pour une masculinité positive 

Les discours toxiques du mouvement masculiniste encouragent les hommes à exercer leur domination et un contrôle excessif sur les femmes : il est important de les reconnaître et de les dénoncer. Les valeurs de base d’une relation saine et équilibrée sont le respect, la confiance et la liberté. En tant que société, nous devons mettre fin au climat de contrôle et de peur au sein des relations conjugales et dans la société dans son ensemble.  

Liz Plank, dans son ouvrage Pour l’amour des hommes, essaie de redéfinir la masculinité, de la comprendre, de creuser à la source, de fouiller fort pour trouver de la lumière, pour aimer mieux les hommes, pour caresser l’espoir d’être mieux aimées par eux aussi. Elle écrit : « Cette idée que la masculinité fait mystérieusement disparaître les besoins humains primaires, comme la vulnérabilité, la proximité, l’intimité et l’attachement est non seulement fausse, elle mène aussi à l’intériorisation de la honte quand les hommes ressentent ces besoins et une incapacité à bien les gérer. Ce qui signifie qu’une bonne part de l’agressivité que nous associons aux hommes ne relève peut-être pas de leur nature, mais plutôt de la façon dont nous les élevons. Le patriarcat ne se contente pas de convaincre les hommes qu’ils n’ont pas de besoins émotionnels ; il les pousse aussi à se sentir humiliés quand ces besoins naturels se font sentir, ce qui force ces besoins à s’exprimer autrement, et de façon bien moins productive. » 

Sarah-Maude Beauchesne, autrice du livre Faire la romance, ajoute « J’ai envie de continuer d’aimer les hommes. D’essayer de comprendre leurs gestes, leurs silences, leurs maladresses, leurs cruautés, même. Mais parfois j’ai peur qu’il soit trop tard. Je suis fatiguée de leur donner le bénéfice du doute, de mettre ça sur la faute de l’Histoire, de les dédouaner de leurs gestes qui font mal. J’aurais besoin qu’ils travaillent plus fort pour nous aider à leur faire confiance. » 

Éduquons nos garçons à être les futurs hommes de demain. Des hommes vrais. Des hommes sensibles. Des hommes respectueux. Des hommes qui travailleront avec nous, et non contre nous.   


Source: Tout le monde en parle

Sarah Gendreau Simoneau
Rédactrice en chef et directrice volet production, auparavant cheffe de pupitre SPORT ET BIEN-ÊTRE at journal Le Collectif | Website | + posts

Passionnée par tout ce qui touche les médias, Sarah a effectué deux stages au sein du quotidien La Tribune comme journaliste durant son cursus scolaire, en plus d’y avoir œuvré en tant que pigiste durant plusieurs mois. Auparavant cheffe de pupitre pour la section Sports et bien-être du journal, et maintenant rédactrice en chef, elle est fière de mettre sa touche personnelle dans ce média de qualité de l’Université de Sherbrooke depuis mai 2021.  

Elle s’efforce, avec sa curiosité légendaire, de dénicher les meilleurs sujets diversifiés pour vous! 

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