Rire de l’argent

Par Félix Morin

Savoir rire de nous est quelque chose de rare dans une société où « l’esprit de sérieux », comme dirait Nietzsche, pèse autant. Or, Pierre Lefebvre, rédacteur en chef de l’excellente revue Liberté, vient de publier chez Boré Confessions d’un cassé. Livre fort sympathique où rire devient le scalpel d’un chirurgien qui cherche à comprendre cette maladie moderne qu’est l’argent.

Prendre ce livre sous l’angle du rire est quelque chose de très intéressant parce qu’on a l’impression que le livre est traversé par un rire grinçant. Pourquoi? Parce qu’à travers les sept confessions, Pierre Lefebvre nous apprend, à partir d’événements passés, comment c’est de vivre avec seulement quelques sous en poche. En fait, on peut dire que le livre de Lefebvre est un ricanement permanent sur cette triste modernité qui nous afflige tous et qu’il ne comprend pas tout à fait.

Dès le début, le ton est donné : « Autant l’avouer tout de go, je n’ai jamais rien compris à la valeur de l’argent ». Difficile de faire plus limpide. En ce sens, on comprend déjà pourquoi il est cassé de manière permanente. Or, Lefebvre manie la « confession » de manière tout simplement brillante. Il est sans honte ni complexe. Il avoue qu’il a volé à presque tous les emplois qu’il a occupés, qu’il doit retirer les quelques dollars qu’il lui reste au comptoir parce qu’il ne reste rien au guichet, qu’il s’est fait avoir par un ancien propriétaire, qu’il passe des journées sur Internet à regarder des vidéos de l’abécédaire de Deleuze, etc. Rire de soi est un art, mais peut aussi être facile. Toutefois, on ne peut pas dire ça de lui.

Il cite Hyvernaud et son « On n’est jamais trop poli quand on est pauvre » et il rajoute : « Ce n’est pas tout d’être cassé, il faut en plus être humble. Un pauvre baveux, personne n’aime ça ». C’est le rire jaune qui se cache derrière chaque confession dans cette manière d’écrire. En effet, il y a aussi les humiliations quotidiennes lorsqu’on vieillit sans argent. Jeune, ça va, ça fait le charme de la jeunesse, mais vieillir veut aussi dire s’installer dans la vie. Or, Pierre Lefebvre s’installe dans sa vie comme pas un. Loin de l’aliénation de la consommation, il mentionne lui-même qu’il n’ « arrive tout simplement pas […] à désirer la plupart des objets de notre société de consommation ». Peut-être plus libre parce que plus pauvre, Lefebvre mentionne explicitement qu’il a failli virer fou à faire un travail de bureau à 80 000 $ par année. Nombreux sont ceux qui voudraient s’aliéner pour cela. Pas lui. Trop amoureux de la liberté, peut-être, pour se vendre.

En somme, il s’agit ici d’un magnifique petit livre, facile à lire et dont je recommande vivement l’achat. Je ne dis pas cela pour rendre caduque le titre, quoi que je lui souhaite, mais bien parce que le rire n’est pas seulement un divertissement. C’est, selon les beaux mots de Montaigne, une manière de faire qui change radicalement la matière du discours qu’elle enrobe.


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