Par Alexandre Leclerc
Les attentes envers le nouveau (et dernier ?) film de Francis Ford Coppola, réalisateur américain à qui l’on doit notamment la trilogie du Parrain, Apocalypse Now et Dracula, ont considérablement baissé après sa première à Cannes en mai dernier. Qu’à cela ne tienne, le film prendra l’affiche le 27 septembre prochain, et ce, dans un mélange d’indifférence et de déception.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi Mégalopolis pourrait s’avérer être à la fois un flop monumental, un film visionnaire, un projet d’égo boudé des cinéphiles et le dernier chef-d’œuvre de l’un des maîtres du 7e art ? Pour comprendre à quoi nous avons affaire, voici en quelques lignes un tour d’horizon des déboires de la production.
Un projet de longue date
L’idée du film serait venue à Francis Ford Coppola dans les années 1980, alors qu’il débute l’ébauche d’un récit centré sur une utopie architecturale et sur une lutte entre idéal et réalité. Coppola s’est souvent intéressé au cours de sa carrière à des personnes visionnaires et incomprises à leur époque tels Preston Tucker (Tucker : L’homme et son rêve), et Mégalopolis, bien que de fiction, vise à présenter les idées novatrices d’un tel personnage. Le projet a toutefois connu de nombreux contrecoups et difficultés de financement, notamment après l’échec commercial de Coup de cœur (One from the Heart), en 1982.
Après des années de silence, Coppola a annoncé en 2021 qu’il relançait le projet, avec une vision modernisée. Il affirme y investir une somme importante de sa fortune dans ce projet qu’aucun studio majeur n’a voulu financer. Le budget est ainsi établi à 120 millions de dollars américains, ce qui lui permet de rassembler des acteurs de renom tels Adam Driver, Aubrey Plaza, Nathalie Emmanuel, Jon Voight, Dustin Hoffman, Laurence Fishburne et Giancarlo Esposito. L’objectif d’exploration de la société contemporaine est le même, mais elle est juxtaposée symboliquement à la chute de l’Empire romain. Le tournage s’effectue en 2022, avec une attention particulière portée aux décors et à la création d’un univers visuel riche. Le réalisateur aurait utilisé des technologies modernes pour donner vie à sa vision.
Projection à Cannes et promotion houleuse
Après la sortie d’une bande-annonce quelques jours seulement avant sa première très attendue au 77e Festival de Cannes en mai dernier, le film suscite un intérêt particulier, mais polarise la Croisette. Certains parlent du dernier chef-d’œuvre d’un géant du cinéma, d’autres confirment les suspicions d’un flop à venir. Tous s’entendent pour dire qu’il s’agit d’une production ambitieuse, peut-être un peu trop même, et extravagante.
C’est toutefois dans les dernières semaines que les choses se sont vraiment gâtées. Il y a d’abord eu des allégations d’inconduites sexuelles envers Coppola par deux des figurantes du film. Des vidéos ont été mises en ligne et qui montrent le réalisateur embrasser une femme dans le public d’une scène se déroulant dans un bar. Le tout a été nié par le clan Coppola, en justifiant qu’une ambiance fraternelle régnait sur le plateau, ce qui a été corroboré par les acteurs de la distribution.
Puis, Lionsgate a sorti en août dernier une nouvelle bande-annonce mettant de l’avant les mauvaises critiques reçues pour les films Le parrain, Apocalypse Now et Dracula, trois films qui, pourtant, se sont avérés des incontournables de l’histoire du cinéma. C’était évidemment un pied de nez aux critiques tièdes reçues pour Mégalopolis, et une vision assez claire comme quoi Coppola croit avoir réalisé un nouveau chef-d’œuvre. Toutefois, le jour même de la publication de cette vidéo, des journalistes ont retracé ces « mauvaises critiques », qui s’avèrent finalement fabriquées de toutes pièces. Les citations que l’on peut y apercevoir sont soit tirées d’autres films de Coppola, soit attribuées aux mauvaises personnes.
Lionsgate a depuis retiré la bande-annonce et s’est excusé d’avoir publié de mauvaises informations, tout comme le clan Coppola, qui a admis que la « recherche » des mauvaises critiques avait été faite à l’aide de l’intelligence artificielle, sans double vérification. À cela s’est ajoutée aussi une déclaration du réalisateur sur le fait qu’il ait délibérément choisi des acteurs qui ont été visés par des allégations d’inconduites sexuelles, soit Shia LaBoeuf, Jon Voight et Dustin Hoffman.
Alors, on va voir Mégalopolis ou pas?
À la lumière de toutes ces informations, il est certain que ce projet de longue date demeure un objet de curiosité fascinant. D’un côté, la sortie d’un nouveau Coppola devrait représenter un événement cinématographique important, lui qui n’a réalisé que trois films depuis 1997. De l’autre, les nombreux déboires de la production font en sorte qu’un certain public n’ira voir le film que pour s’en moquer. Mais cela ne fait-il pas partie de la campagne publicitaire souhaitée ?
Lorsqu’on observe la carrière de Coppola, on constate une certaine récurrence dans la façon de promouvoir ses projets ambitieux. Lors de la sortie d’Apocalypse Now, le réalisateur avait beaucoup mis l’accent sur les difficultés de tournage (un typhon avait ravagé l’ensemble des décors, son acteur principal avait fait un infarctus, et un tournage qui devait durer 18 mois s’est étiré sur 4 ans) et sur le fait d’y avoir investi tout son argent. Le film fut un succès. Deux ans plus tard, il réalise Coup de cœur, une comédie musicale qui a coûté 30 millions et dont l’accent est mis sur les innovations technologiques employées dans le film (le premier à utiliser un moniteur pour voir en temps réel ce que les caméras filment). Le film floppe.
S’amorce alors un véritable chemin de croix où le réalisateur fera des films moins risqués, mais dont les libertés créatives sont moindres, jusqu’à ce qu’il ait l’argent nécessaire pour tourner le troisième volet du Parrain, puis Dracula À chaque fois, Coppola y investit son argent, à chaque fois, la promotion tourne autour de ce fait, et les films, bien que des succès commerciaux, ont une réception mitigée. Cette nouvelle campagne pourrait donc être en concordance avec toutes celles qu’il a menées pour ces précédents projets.
Est-ce que Mégalopolis Ce sera au public de le décider, maintenant que les critiques ont pu se prononcer. L’histoire suggèrerait de faire confiance à Coppola, qui nous a livré plusieurs chefs-d’œuvre du cinéma, parfois incompris à leur sortie. Mais il devient de plus en plus difficile de lui octroyer notre confiance après les nombreuses problématiques promotionnelles qui détournent l’attention du public sur ce que le film a véritablement à nous proposer.
Source: Lionsgate