Par Alexandre Leclerc

Favori pour remporter l’Oscar du meilleur film le 2 mars prochain, The Brutalist, réalisé par Brady Corbet (Vox Lux), est un film ambitieux qui explore des thèmes complexes tels que l’immigration, le capitalisme et la quête artistique. Il aura fallu près de 10 ans pour que le projet voit le jour, et s’il est certain qu’il en émane une grandiosité s’approchant des films épiques, il nous laisse toutefois avec une légère impression de n’être qu’une coquille vide.
D’une durée de 215 minutes, cette œuvre cinématographique se distingue par ses qualités techniques et son récit universel, mais de récentes controverses sur l’utilisation de l’intelligence artificielle en post-production pourraient ternir à court terme l’image du film, et peut-être même affecter durablement l’éligibilité de certains films aux Oscars.
Aspirer au rêve américain…
Le film suit le parcours de László Tóth (Adrien Brody), un architecte juif hongrois qui émigre aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Recueilli par son cousin Atilla (Alessandro Nivola), qui possède un modeste magasin de meubles à Philadelphie, il obtient la chance d’exercer à nouveau son métier lorsque le fils d’un riche entrepreneur (Joe Alwyn) les embauche pour rénover le bureau de son père (Guy Pearce).
Cet entrepreneur, voyant le potentiel artistique de László, l’engage alors pour construire un imposant complexe multifonctionnel dans une petite bourgade de la Pennsylvanie, avec comme style principal la marque de commerce de l’architecte : le brutalisme. László, d’abord reconnaissant pour cette opportunité et pour les efforts que l’industriel déploie pour faire venir sa femme (Felicity Jones) et sa nièce (Raffey Cassidy), verra des tensions naître entre son mécène et lui, et, à plus grande échelle, entre les Américains de souche et les immigrants juifs.

… et devoir s’en détourner
Dès les premières scènes, le film capte l’attention avec une séquence où László, au milieu d’une foule, aperçoit la Statue de la Liberté, symbole de l’espoir et de la liberté. Cependant, cette image est présentée de manière déformée, suggérant une vision altérée du rêve américain. On comprend dès lors que le parcours de l’architecte sera parsemé d’embûches, et, surtout, d’illusions. Cette approche visuelle audacieuse est renforcée par la brillante direction photo de Lol Crawley, qui utilise des compositions fluides et organiques, magnifiées par le format 70 mm VistaVision (un système particulier qui fait défiler les bobines de façon horizontale, et non verticale, dans le projecteur).
Le jeu d’Adrien Brody y est pour quelque chose dans l’acceptation du récit de l’architecte hongrois. Il livre une performance remarquable, capturant les nuances émotionnelles de son personnage avec une intensité palpable. Guy Pearce, quant à lui, rend avec brio la superficialité de l’homme d’affaires charismatique, mais manipulateur, ajoutant une dynamique complexe à leur relation. Felicity Jones, qui n’apparaît qu’au milieu du film, laisse également sa marque en tant que femme moderne et véritable ancrage du couple de réfugiés.
On pourra néanmoins reprocher à The Brutalist d’être relativement convenu dans ce récit de désillusion à la fois prévisible et champ gauche. Certains événements se déroulant dans la seconde partie du récit semblent précipités et contrastent avec la lenteur de la première partie. C’est dommage, puisque, strictement sur le plan technique, le film est accompli et visuellement singulier.
On aurait de plus souhaité un peu plus de profondeur au scénario, qui peine à étayer pleinement ses thématiques pour susciter un questionnement durable. On est happé par la grandiosité de la proposition, sans toutefois être pleinement habité par ses thématiques. Il n’empêche que The Brutalist reste une œuvre cinématographique ambitieuse qui offre une réflexion profonde sur l’art, l’identité et le rêve américain. D’autres chefs-d’œuvre du cinéma ont cependant abordé les mêmes thématiques, et ce, avec plus de succès. Pensons aux sublimes Once Upon a Time in America ou There Will Be Blood, pour ne nommer que ceux-ci.
Un film parfait pour les Oscars, mais…
The Brutalist est l’exemple typique du film qui a tout pour séduire les cérémonies de remise de prix, mais qui peinera à rejoindre un vaste public. Sa durée n’aide en rien à son accessibilité (bien qu’un entracte de 15 minutes offre une pause bienvenue à mi-parcours), il faut néanmoins admettre que le film n’a que peu de longueur et parvient à captiver rapidement et durablement notre attention. La musique de Daniel Blumberg y est assurément pour quelque chose, tout comme les impressionnants décors et la reconstitution d’époque.
Cependant, une récente controverse sur l’utilisation de l’intelligence artificielle est venue compromettre la campagne promotionnelle du film. Spécifiquement, on en aurait fait usage pour inspirer l’application des codes du brutalisme à l’écran en pré-production et, surtout, pour améliorer l’authenticité des dialogues en hongrois d’Adrien Brody et de Felicity Jones. Le tout a suscité des débats sur l’authenticité et l’intégrité artistique. Devraient-ils être éligibles dans les catégories d’interprétation malgré tout? À quel point peut-on en faire l’utilisation sans dénaturer l’apport créatif humain derrière la production d’un film? Parions que l’Académie reverra ses critères pour la prochaine cérémonie, sachant que l’intelligence artificielle est là pour rester au cinéma.