L’Histoire, victime collatérale de la guerre civile au Soudan 

Par Elizabeth Gagné 

Une tempête de sable balaie les pyramides de Méroé au Soudan, (900 av. J.-C. – 400 apr. J.-C.). 

De nombreux conflits politiques ne cessent de s’acharner sur notre monde. Il devient difficile d’être à l’affût de tout ce qui se passe. À l’heure actuelle, la guerre civile au Soudan est une des plus grandes crises humanitaires à laquelle nous faisons face.  

Les affrontements entre les forces paramilitaires de soutien rapide (RSF) et les forces armées soudanaises (SAF) ont éclaté en avril 2023. Depuis, l’ONU compte environ 18 800 morts et plus de 3,1 millions de personnes en fuite. La famine qui, d’ailleurs, ne cesse de s’aggraver, fait rage dans le nord du pays. Pourtant, cette situation n’a presque aucune couverture médiatique. Selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, « la situation des civils est déjà désespérée et il existe des preuves de la commission de crimes de guerre et d’autres atrocités ». Les premières victimes sont malheureusement les civils qui sont pris entre deux feux. Certains parlent même de génocide à cause des violences ethniques que subit la population. 

Lorsque le passé est menacé par le présent  

Dans ce genre de conflit, les vies humaines ne sont malheureusement pas les seules victimes. Au cœur de la capitale soudanaise, Khartoum, se trouve des artéfacts et des sites archéologiques d’une valeur inestimable qui témoignent, entre autres, du passé glorieux des pharaons noirs qui ont régné sur l’Égypte pendant des centaines d’années. Dans un article, la professeure d’histoire de l’Université de Strathmore, au Kenya, Agnes Kinyua, exprime son inquiétude profonde quant au conflit qui sévit dans la capitale. « Je les ai observés. Lorsqu’ils brûlent des livres, ils s’en fichent. Ils brûlent tout, ils volent et ils détruisent. Outre les objets d’art, nous avons des monuments historiques au Soudan. C’est une préoccupation pour moi et, j’en suis sûre, pour tous ceux qui s’intéressent à l’Histoire ». 

Selon l’organisme Heritage for Peace, « (l)e conflit en cours constitue une menace imminente pour le patrimoine culturel du Soudan. Les plus vulnérables sont le Musée national, le Musée Ethnographique, le Musée de la maison Khalifa, le Musée du Palais, le Mausolée du Mahdi et Archives nationales de Khartoum, le Musée Sheikan à El Obeid, et le musée du Darfour à Nyala. Des dégâts irremplaçables sont déjà signalés au Musée d’histoire naturelle ; la précieuse collection du Centre Muhammad Omar Bashir d’études soudanaises de l’Université Ahlia d’Omduruman (la ville à côté de Khartoum) a été pillée et totalement perdue par le feu. Certains dommages aux temples exposés dans le jardin du Musée national de Khartoum sont également signalés ». 

L’importance historique du Soudan  

Le Soudan possède une riche histoire qui remonte à plus de 100 000 ans. Selon National Geographic, les grandes civilisations antiques du Soudan ont connu, grâce à leur agriculture, une grande période de prospérité qui leur a permis d’ériger de nombreux temples. On dénombre près de 255 pyramides, soient le double de ce qu’on retrouve en Égypte. Vers 730 avant notre ère, l’Égypte du Moyen Empire est affaiblie, ce qui permet à l’empire nubien, qui a connu un fort accroissement économique et militaire durant les neuf siècles avant notre ère, d’envahir et de conquérir ces territoires. Piye devient le premier empereur de la 25e dynastie d’Égypte, mieux connue sous le nom de la dynastie des pharaons noirs. La Nubie actuelle correspond à une partie du territoire du nord du Soudan.  

Cette période de l’histoire soudanaise a laissé des artéfacts d’une valeur inestimable pour mieux comprendre les civilisations anciennes. Ce n’est pas moins de 28 sites archéologiques et culturels qui ont été pris pour cible ou qui ont subi des dommages collatéraux dus aux récents conflits armés. Selon Agnes Kinyua, « aujourd’hui, nous nous efforçons de relier l’Histoire et la culture de la région et de les préserver pour les générations futures. Nous ne devrions pas permettre que ce qui s’est passé en Somalie se produise au Soudan, ou même en Afrique de l’Ouest ».  

Le pillage d’un des plus importants musées soudanais se confirme  

Depuis le début du conflit, le RFS a réussi à prendre le contrôle de plusieurs régions du Soudan, dont Khartoum. En septembre 2024, ce que l’on redoutait arriva. Des rapports confirment qu’un important pillage a eu lieu au Musée national du Soudan, ce qui inquiète au plus haut point les autorités et les historiens. Dans un article, la docteure Ikhlas Abdel Latif, directrice des musées à l’Autorité nationale des antiquités du Soudan, indique que « des objets archéologiques qui étaient stockés au Musée national ont été « chargés dans de grands camions », qui, d’après des images satellites, se sont dirigés vers l’Ouest et des zones frontalières, notamment près du Soudan du Sud ». 

Selon un autre article, le rapport semble indiquer que les pillages du musée seraient orchestrés par le RFS. Ikhlas Abdel Latif souligne également qu’il ne s’agissait pas uniquement « de la mémoire locale, mais de la mémoire humaine ». Toujours selon Abdel Latif, le musée Nyala, au Darfour du Sud, a également subi d’importants vols d’antiquité et même certains outils d’exposition ont été volés. Quant au musée Khalifa d’Omdurman, situé dans la ville adjacente à Khartoum, « une partie du bâtiment, qui date de l’époque mahdiste (fin du XIXe siècle), a également été détruite », raconte Abdel Latif.  

Le Musée national est l’un des plus importants musées du Soudan. « Récemment réaménagé, il abritait des collections du paléolithique, avec des pièces uniques de Kerma, des dynasties antiques égyptiennes, de Napata, Méroé, des antiquités chrétiennes et des objets d’art de l’islam ». Tous s’entendent pour dire qu’il s’agit d’une réelle tragédie notamment pour les futures générations soudanaises. Dans un communiqué de presse datant du 12 septembre 2024, l’UNESCO a sonné l’alarme face aux menaces de trafic illicite de biens culturels.  

De cette situation, l’auteur britannique George Orwell aurait pu dire que « le moyen le plus efficace de détruire les gens est de nier et d’oblitérer la compréhension qu’ils ont de leur histoire ». Plus que des reliques, il s’agit d’un héritage culturel et identitaire qui a été volé. Que restera-t-il après la guerre si toute trace du passé est détruite?  


Crédits : Nichole Sobecki National Geographic

Scroll to Top