L’art funéraire selon le pape François I : entre tradition modeste et modernité 

Par Ema Holgado  

Plafond de la chapelle Sixtine, là où le conclave a lieu.

Le pape est mort. Après 12 ans de bons et loyaux services à la tête de l’Église catholique, Jorge Mario Bergoglio, connu sous le nom du pape François, s’est éteint un lundi de Pâques lors de l’année sainte de l’Espérance. Croyants ou non, impossible de rester indifférents à la mise en scène symbolique et artistique de ses funérailles : entre traditions millénaires et gestes résolument modernes. 

Bienvenue dans une série d’articles où je vous décris l’art pour vous faire briller en société. Commençons alors avec l’art funéraire, selon le Pape François. 

Esthétique simpliste des funérailles : bois, tapis et le symbole vestimentaire 

Qu’y a-t-il à dire de spécial sur le cercueil du pape François ? Eh bien, pas grand-chose, mais c’est ce qui rend cela si intéressant. Habituellement, les papes sont enterrés dans des triples cercueils de cyprès, de plomb et de chêne, mais François a décidé d’embrasser plus de simplicité avec un cercueil de bois et de zinc. Quel bois ? Seul Dieu (et pleins d’autres personnes) le sait, mais sa couleur pourrait nous faire penser au cyprès. 

Durant la cérémonie, ce même cercueil reposait sur un somptueux tapis persan. Il s’agit d’un tapis de style Heriz fabriqué avec une laine de très belle qualité et d’une taille impressionnante. La tradition des tapis arabes aux funérailles de papes remonte à plusieurs siècles, mais peut aussi être interprétée aujourd’hui comme un symbole de reconnaissance des valeurs partagées par les religions monothéistes, mais aussi de volonté de dialogue entre les cultures et les religions. De plus, le tapis représente un sanctuaire portatif où le défunt est entre la vie terrestre et la vie céleste. Il s’agit d’une tradition des églises orientales à laquelle tenait beaucoup le pape François. 

Comme pour tous les papes, le rogito accompagne le défunt dans l’au-delà, un parchemin en latin qui résume les moments clés de la vie et de son pontificat rédigé par le Maitre des célébrations liturgiques pontificales, ici Mgr Diego Giovanni Ravelli. C’est aussi lui qui a placé le voile blanc sur le visage du pape dans son cercueil et qui a placé les pièces commémoratives d’or, d’argent et de bronze tapées à l’occasion du pontificat du pape. 

Comme dernier habit, le pape a revêtu l’œuvre du créateur de vêtements sacrés Filippo Sorcinelli. Peintre, organiste, directeur artistique, parfumeur, photographe et graphiste, le choix de Filippo n’est pas anodin. En plus d’être considéré comme un génie de son genre, il est aussi ouvertement homosexuel et pense que beauté et spiritualité peuvent coexister même dans les contextes religieux conservateurs. Pour réaliser le vêtement final, l’artiste s’est inspiré des fresques de Giotto, présentes dans la ville historique fortifiée de Padoue, en Italie. 

La Salus Populi Romani 

Le pape François a fait le choix de reposer à la Basilique Sainte-Marie-Majeure à Rome plutôt qu’au Vatican. C’est le lieu où il s’arrêtait pour prier avant et après chaque voyage. Il reposera à côté de la Salus Populi Romani, une figure de la Vierge Marie et de l’Enfant Jésus, invoquée comme protectrice de Rome. Il s’agit d’un palladium spirituel, c’est-à-dire, une image protectrice.  

Mais en quoi cette œuvre est-elle importante ? La Salus Populi Romani est dite datée du Ve siècle bien que des analyses récentes la situent plutôt entre le IXe et le XIIIe siècle. C’est l’une des plus anciennes icônes représentant la Vierge de la Chrétienté. Peinte dans un style byzantin qui, comme on se le rappelle de plus haut, était très cher au pape, la Marie de l’icône regarde le spectateur avec son fils dans les bras qui la regarde elle. Elle est encadrée de bronze et d’améthystes incrustées. La tradition veut qu’elle ait été peinte par Saint-Luc sur une table construite par Jésus dans l’atelier de son père Joseph. Elle est aussi l’œuvre que le Saint-Père, le pape, a choisi de faire déplacer au Vatican le temps de sa messe pour l’arrêt de la pandémie en 2020. 

Le Caravage et la Vocation de Saint Matthieu 

La vocation de Saint Matthieu du peintre Le Caravage est une œuvre qui a eu une grande place dans la cérémonie de funérailles. Pour ceux qui ne savent pas de quoi je parle, pas de panique ! La vocation de Saint Matthieu est un tableau datant de 1600, peint par l’artiste italien Le Caravage (Michelangelo Merisi da Caravaggio pour ceux qui ne craignent pas de prononcer l’italien). Il s’agit de la toute première commande officielle du peintre qui était à destination de la chapelle Contarelli de l’église Saint-Louis-des-Français de Rome où le tableau est toujours exposé. Pour François, cette œuvre était au cœur de son pontificat en estimant que sa propre vocation lui était venue malgré sa condition de pêcheur. Il y était attaché jusqu’en avoir fait sa propre devise pontificale « Miserando atque eligendo » : En le regardant avec miséricorde, il l’a choisi.  

L’œuvre en tant que telle est phénoménale, faisant plus de 3 m sur 3 m. Dans cette peinture, Jésus, que l’on reconnait par son auréole, tend le bras vers Matthieu. Même si tout le monde ne s’accorde pas sur cela, Matthieu serait le jeune homme comptant des pièces en bout de table sans remarquer Jésus et non l’homme barbu pointant du bras. Il s’agit là d’une des demandes faites à Caravage pour la commande, que Matthieu doit être peint en train de compter de l’argent. Le jeu du clair-obscur caractéristique de Caravage rend l’œuvre sombre et pourtant si lumineuse sur l’appel. Le tableau raconte le passage de l’évangile dans lequel Jésus rencontre pour la première fois Matthieu et l’appel. Ce dernier est un collecteur d’impôts, soit un personnage malaimé de l’époque, que Jésus a pointé du doigt, qui a été appelé par sa vocation (d’où « la vocation de Saint Matthieu ») et est devenu un disciple. 

La chapelle Sixtine et le conclave 

Finalement, il n’est pas possible de parler de la mort du pape sans parler du conclave qui suit. Le terme « conclave » vient du latin « avec clé » soit enfermé à clé. Il s’agit d’un temps durant lequel tous les cardinaux de moins de 80 ans sont enfermés et ne peuvent sortir de réclusion avant d’avoir élu le prochain pape. La pratique remonte à 1271 où, après déjà 2 années de débats sans avoir trouvé de pape, les cardinaux ont été enfermés dans le palais de Viterbe par les habitants excédés de ne pas les voir prendre de décision. Quatre fois par jour, après chaque vote des cardinaux, une fumée noire sort de la cheminée du Vatican jusqu’à ce qu’une fumée blanche ne s’élève indiquant qu’un pape a été élu. C’est alors la fin du conclave et le début d’un pontificat. 

L’art occupe une place centrale dans le conclave, car il est vu comme vecteur de signification spirituelle, théologique et symbolique. Le conclave se tient depuis 1492 au sein de la chapelle Sixtine qui est aménagée pour l’occasion. La chapelle a été pensée pour avoir des dimensions proches du Temple de Salomon dans la Bible. Lors des votes, lorsqu’ils lèvent les yeux, les cardinaux sont face aux fresques retraçant la vie de Moïse et de Jésus peinte par Botticelli, Rosselli, Perugino et j’en passe. Plus encore, les évêques sont face à la voute de Michel-Ange représentant des scènes de la Genèse rappelant la condition faillible de l’humain et devant Le jugement dernier (toujours de Michel-Ange) placé au-dessus de l’autel et faisant 13 m sur 12 m. 

La scène est bouleversante et polémique avec ses nus, ses torsions et ses damnés emportés. Les cardinaux votent littéralement sous le regard du Christ jugeant en rappelant que ce choix n’est pas un acte de pouvoir, mais une responsabilité. Le Cardinal Christoph Schönborn disait à la suite du conclave de 2013 : « C’est l’un des rares lieux où l’art ne distrait pas, mais oriente la conscience. » De plus, le silence imposé lors du conclave amplifie la présence visuelle des fresques qui recouvrent toute la chapelle. L’art de la chapelle Sixtine représente une crise du salut, une mise en cause de l’humanité face à elle-même. Il s’agit d’un miroir dans lequel chaque cardinal doit se demander : « Suis-je un élu ou un damné ? » 

François aura su transformer ses funérailles en véritable musée du Sacré, son cercueil en cheval de bataille contre le clinquant liturgique, et son couturier en porte-étendard d’une haute couture aussi spirituelle que libre. Une odeur de bougie, un éclair de Caravage, et le regard fixe d’une Vierge byzantine pour veiller sur son repos éternel : un adieu à la fois discret et grandiose. Voilà, vous savez désormais – presque – tout sur les mystères d’un Vatican en deuil, où l’art, plus que jamais, s’est fait langage de l’âme. 


Source : WordPress

frederique_kim@live.ca  Web   More Posts
Scroll to Top