Par Simon RD
CHRONIQUE/Le Territoire, on se définit par le territoire. Le Territoire, c’est qui l’on est et l’on ne peut s’en défaire… c’est viscéral. Petit gars de Montréal, j’ai vécu une bonne partie de ma vie (de 1989 à 2011) sur l’île de la métropole. Mais, en réalité, non seulement mon adolescence s’est vécue dans Verdun, ce joyau du « bord du fleuve », mais mon enfance a été façonnée, en partie, par ces fins de semaine chez ma grand-mère et devant l’œuvre Ô Saint-Laurent. Parti depuis une dizaine d’années, je suis revenu dans mon patelin quelques fois et j’ai remarqué un changement démographique complètement effréné. Le Dunkin (depuis 2019) n’est plus, où auront lieu les grandes discussions des natifs ? Verdun n’est plus mon quartier joual !
Montréal est un fleuron culturel, autant au niveau de la musique que des cultures culinaires ou bien démographiques. Si on se rend dans le Mile–End, on peut déguster un excellent souvlaki au Arahova (restaurant grec), comme on peut déguster les meilleurs bagels sur la rue Fairmont. On se rend sur la rue Saint–Laurent pour déguster le meilleur smoked meat de la province ! À Verdun, on aime les steamés all-dressed de chez Pierre Patate, du moins on aimait.
Chaque arrondissement possède une empreinte historique et culturelle bien à lui. En fait, le plus beau dans tout ça, c’est souvent l’histoire du quartier et de l’apport de ses natifs et l’embourgeoisement, à mon sens, détruit cette empreinte démographique.
Verdun, un paysage inoubliable
Cet anglicisme qu’est la gentrification semble, en effet, diluer l’histoire démographique et culturelle d’un quartier comme Verdun. Quand j’étais jeune et que j’allais chercher une pinte de lait au dépanneur, je me rappelle que j’observais beaucoup la populace et le décor verdunois : des cantines grecques du Woodland et du Rex pizza, jusqu’au restaurant chinois du Dragon Chine, au vietnamien du Pho Bac, juste à côté du succulent sud-américain de la Villa Wellington.
Verdun était partagé entre la langue anglaise et la langue française. Quelques Grecs par-ci et quelques Italiens par là. À Pointe–Saint–Charles, communément appelé PSC, qui frottant les limites de Verdun, y hébergeait une grande et vaste communauté irlandaise. Verdun, Pointe–Saint-Charles, Saint-Henri et Côte–Saint-Paul, tous des quartiers de la classe ouvrière et des pauvres, qui par leurs mains de guerriers, pas si loin du Saint-Laurent, ont travaillé des heures dans les usines et ont contribué au développement de cette île qu’est maintenant devenue Montréal.
La rue de l’Église transperce une partie de Verdun d’un bout à l’autre et s’empare des rayons chauds du soleil d’été en après–midi. Là où vagabondaient quelques quêteux et quelques personnages colorés qui ont marqué les natifs de Verdun, non excusez-moi, Vardun ! Ah oui, sans oublier le Griffintown, qui jette aujourd’hui son venin de nouveaux riches et de millionnaires sur les cendres de l’ancienne Petite–Bourgogne !
Verdun, c’était les poubelles qui faisaient des vols planés, du troisième du triplex jusque dans la rue : « bull‘s eye » ! Verdun, c’était la mère monoparentale, le jeune en difficulté, le joual, les enfants dans la rue qui jouaient au hockey et tassaient le filet à chaque fois qu’un bazou voulait passer, les batailles au rack à bicycles, le skate park, l’Auditorium, la Polyvalente Monseigneur Richard, mais surtout le bord du fleuve ! Cette vue imprenable et gratuite pour tous les gens de la communauté. La pêche, la chasse aux canards, les rapides, les rapides de Lachine à Lasalle !
Un malaise pour les natifs
Il n’y a pas si longtemps, l’embourgeoisement et les reprises de loyers étaient au cœur des inquiétudes. Pourquoi le fait-on ? On reprend des loyers, on tasse les plus démunis loin de notre vue. On tasse ceux qui ont façonné le décor joual et ouvrier de notre Saint Sud-Ouest. En échange de quoi ? On voit arriver de nouveaux riches et des bourgeois qui trouvaient Verdun trop brun et trop plate, mais que des années plus tard se sont rendu compte que les trois métros et la piste cyclable du quartier représentaient une plus-value ?
En fait, il faut n’accuser personne. Pourquoi accuserais-je des gens à venir s’installer dans un quartier longtemps humilié ? J’accuse essentiellement cette gentrification, cette gentrification qui semble polluée d’un air ingrat, un embourgeoisement qui ne fait qu’effacer les visages d’avant, au profit d’une nouvelle vague inodore, incolore et bien aisée !
Par ailleurs, la gentrification, bien qu’elle puisse n’être que le résultat d’une évolution tangible à l’inflation, c’est surtout économique. Ceux qui restent comme des guerriers dans un quartier où la valeur des loyers a augmenté mènent un combat tout simplement inhumain. On n’a qu’à penser à Vancouver, Toronto et bientôt Montréal au complet. Juste l’idée de penser que je n’aurai plus les moyens, après les études, de revenir dans la ville qui m’a vu naître, de revenir vivre près des traces de mon passé, ou plusieurs âmes, que j’ai connues, ce sont éteintes, me donne un vertige considérable.
Évidemment, tout ça reste personnel, mais il y a un certain malaise. Pensons surtout à ceux qui y vivent toujours et qui ne veulent pas quitter leur terre patrie, mais qui se heurtent à des évincements ou à des loyers qui représentent une marge considérable dans leur portemonnaie.
Les Villes doivent réagir. Bien au-delà de mes souvenirs et de ce quartier imprégné en moi, il y a ces drames humains causés par l’évincement. Il y a ces histoires d’avant éteintes et ensevelies d’un renouveau terne comme la mélamine. Au-delà de tout, on sépare des familles et des natifs d’un milieu qui était leur identité, leur peine, leur joie, leur histoire. L’embourgeoisement ou le déracinement.
Crédit Photo @ Simon RD