Un retour au bureau perturbateur 

Par Meg-Anne Lachance 

Depuis le 9 septembre, le personnel de la Fonction publique fédérale doit travailler au bureau trois jours par semaine, bien que cette option soit la plus « perturbatrice ». 

En mai dernier, le gouvernement Trudeau avait suscité la grogne des grands syndicats de la fonction publique fédérale en annonçant un retour au bureau trois jours par semaine. Quatre mois plus tard, la mise en place de cette mesure est enfin en marche et les fonctionnaires sont désormais tenus de travailler en présentiel au moins trois jours par semaine. Or, à peine trois semaines après le début de cette politique, de nouveaux documents indiquent qu’Ottawa aurait opté pour l’option la plus «perturbatrice». 

C’est en vertu de la Loi sur l’accès à l’information que l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) a pu mettre la main sur les documents du Conseil du Trésor et les transmettre à Radio-Canada. 

Dans les quelques centaines de pages recueillies, on peut lire que le gouvernement fédéral craignait de perdre la « confiance du public » avec sa politique de présentiel trois jours par semaine. Selon les documents, cette nouvelle politique est en contradiction avec les affirmations du personnel qui se dit être plus productif en télétravail. 

Le secrétariat du Conseil du Trésor explique la décision par un besoin « d’équité » et « de cohérence » pour les travailleurs. « [les travailleurs et les syndicats] ont besoin d’équité, de cohérence, de justice et de clarté en ce qui concerne […] l’expérience vécue par les employés dans l’ensemble de la fonction publique », argue le ministère. 

En avril dernier, une note de service destinée à la présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, dévoilait des différences dans la manière d’interpréter la conformité des fonctionnaires quant à leur présence au bureau. 

Selon la note, « seulement 64 % des organisations ont rapporté un taux de conformité de plus de 60 % ». 

« Malgré les efforts déployés pour promouvoir la cohérence et tester des modèles de travail hybrides, il existait des différences importantes au sein [du gouvernement], ce qui créait une concurrence [interdépartementale] et des difficultés de recrutement », indique le secrétariat du Conseil du Trésor. 

Freiner la modernité 

Alors que le gouvernement défend sa position, les syndicats continuent de critiquer cette nouvelle obligation.  

Selon le vice-président national de l’AFPC, Alex Silas, le gouvernement a manqué la chance de moderniser la façon de travailler. « Le gouvernement devrait mener par [l’exemple] au lieu de faire ça à l’ancienne et de forcer les gens à retourner à des bureaux mal équipés », affirme-t-il. 

« On peut juste assumer que c’est une raison politique » qui a guidé cette politique, continue le vice-président. Ce dernier défend quant à lui une approche plus flexible et adaptée à chaque personne employée. 

N’ayant que très peu de données internes concernant le travail hybride, Ottawa s’est tourné vers les tendances mondiales. Après l’analyse de plusieurs directives d’États et d’entreprises, le gouvernement a conclu qu’un minimum de trois jours en présentiel était la solution la plus « perturbatrice ».  

Les documents transmis à Radio-Canada indiquent qu’en suivant cette solution, plusieurs départements feraient face à des problèmes de manque d’espace. On y explique que certains ministères devraient établir des journées fixes au bureau pour « éviter que tous les employés ne soient présents les mêmes jours » ou encore utiliser des espaces non attribués. 

Malgré ces indications, le gouvernement a décidé d’imposer la présence obligatoire de trois jours par semaine à ses fonctionnaires.  

Bien que cette façon de faire obligerait le gouvernement à devoir « gérer les réactions des employés », il mettrait également fin aux « incohérences », peut-on lire dans le rapport. 

Un désir de performance 

Dans une déclaration écrite, la porte-parole du secrétariat du Conseil du Trésor, Rola Salem, explique que cette politique « vise à assurer notre capacité à être performants ».  

Elle ajoute que le gouvernement veut « qu’une forte culture de rendement […] soit mieux mise en œuvre, modelée et renforcée par des expériences en personne ». 

« Le fait de s’aligner aux tendances […] contribue à renforcer la crédibilité de la fonction publique. » 

Pourtant, une recherche portant sur le travail hybride mené par le Bureau du dirigeant principal des ressources humaines au printemps 2022 suggère le contraire — les télétravailleurs sont plus productifs. 

« Moins d’interruptions permettent de se concentrer davantage sur les tâches à accomplir, ce qui améliore l’efficacité et les performances globales. » — Recherche du Bureau du dirigeant principal des ressources humaines. 

Toutefois, des études du McKinsey Global Institut et de l’Université Stanford concluent que ce concept de productivité diffère lorsqu’il est question d’un employé ou d’une gestionnaire.  

Néanmoins, le consensus reste au sein des travailleurs et travailleuses. Dans un sondage de juin 2023, 76 % des femmes et 69 % des hommes affirment que le télétravail est l’avantage le plus attrayant lors d’un changement de poste. 

Toujours dans ce sondage, 28 % des répondants et répondantes estiment qu’il n’y a aucun inconvénient au travail à distance autant pour eux, leur équipe et leur organisation. Le principal avantage soulevé était une meilleure productivité. 

L’exode de talent 

Selon l’économiste Tammy Schirle de l’Université Wilfrid Laurier, l’imposition de trois jours au bureau pourrait nuire à la fonction publique qui peine à suivre le secteur privé en matière de travail hybride.  

« Je crains que nous perdions nos meilleurs fonctionnaires au profit d’autres secteurs où ils trouveront la flexibilité et un bon salaire », dit l’experte. 

En mai 2022, une approche basée sur le poste occupé avait été recommandée par le Bureau du dirigeant principal des ressources humaines. Il avait notamment qualifié cette approche comme « importante pour l’avenir de la gestion des ressources humaines dans le service public ». 

Dans sa recommandation, le bureau mentionnait que cette flexibilité était « une occasion unique […] d’embaucher les meilleurs talents là où ils se trouvent ». Il relevait néanmoins que cette approche pouvait entraîner des commentaires négatifs de la part du public. 

« Constater que deux jours au bureau ça ne marche pas et de dire trois jours ça va marcher mieux, ça ne fait pas beaucoup de sens pour moi », conclut le vice-président national de l’AFPC. 


Source: Raw Pixel

Meg-Anne Lachance
Cheffe de pupitre SOCIÉTÉ at Journal Le Collectif | + posts

Étudiante en politique, Meg-Anne a toujours été intéressée par les enjeux internationaux, sociaux et environnementaux. Après avoir occupé le rôle de journaliste aux Jeux de la science politique, elle a eu la piqûre des communications. Guidées par un sentiment d’équité, elle s’efforce de donner une visibilité aux actualités oubliées. Féministe dans l’âme, vous pourrez certainement retrouver cette valeur dans certains de ses textes!

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