Par Frédérique Maysenhoelder

Pour des milliers de femmes ayant survécu à un cancer gynécologique, les douleurs persistantes lors des relations sexuelles – un symptôme connu sous le nom de dyspareunie – deviennent une ombre durable sur leur rétablissement. Jusqu’à 70 % d’entre elles en souffrent, parfois des années après la fin des traitements. Une équipe de chercheurs de l’Université de Sherbrooke pourrait bien avoir trouvé une réponse à cette souffrance trop souvent ignorée.
Développée à l’Institut de recherche sur le cancer de l’Université de Sherbrooke (IRCUS), une approche de physiothérapie multimodale du plancher pelvien redonne espoir à ces femmes. Ce traitement, alliant thérapie manuelle, biofeedback, éducation, exercices personnalisés à domicile et utilisation de dilatateurs, a démontré une efficacité impressionnante : 90 % des participantes à l’étude clinique ont noté une diminution significative de la douleur, une amélioration de la fonction sexuelle et une hausse de leur qualité de vie.
« Le besoin était là. Quand je suis arrivée à Sherbrooke, j’observais que, dans la trajectoire de soin actuelle, il n’y avait pas de volet qui s’intéressait à cette condition-là », témoigne Mélanie Morin, professeure-chercheuse à l’École de réadaptation, affiliée à l’IRCUS. « La prévalence en premier m’a frappée, et l’absence de soins. Il fallait faire quelque chose. »
Une approche sur mesure, un impact durable
Ce qui distingue cette méthode, c’est sa capacité à traiter le problème à la source. Les recherches menées par la Pre Morin ont révélé que les survivantes présentent des muscles du plancher pelvien plus rigides, moins flexibles et moins coordonnés. « Les premières études visaient à mieux comprendre les causes des douleurs dans les relations sexuelles. On a pu déterminer que les muscles du plancher pelvien sont impliqués dans la dyspareunie, ce qui nous donnait enfin une cible thérapeutique. »
En laboratoire, l’équipe a développé des technologies comme la dynamométrie, un outil d’évaluation des muscles du plancher pelvien, et a eu recours à l’échographie 3D-4D pour visualiser leur fonctionnement. Forte de ces données, l’équipe interdisciplinaire a conçu un traitement structuré en douze séances hebdomadaires, combinant éducation, thérapie manuelle, et conseils adaptés pour retrouver une vie sexuelle active et agréable.
Avec l’appui du Dr Paul Bessette et de la Dre Korine Lapointe-Milot, gynécologues-oncologues, et de la doctorante Marie-Pierre Cyr, ce projet marque une percée scientifique et humaine majeure.
Au-delà du corps, un soulagement psychologique
Ce traitement ne se limite pas à atténuer la douleur physique. Il agit aussi sur la détresse sexuelle, l’anxiété, les symptômes dépressifs et l’image corporelle, avec des bienfaits qui persistent un an après les traitements. Selon la Pre Morin, les survivantes qui bénéficient de cette approche rapportent un réel regain de confiance en elles et une qualité de vie retrouvée.
Un accès encore trop limité
Malgré son efficacité, ce traitement reste inaccessible pour plusieurs. « Présentement, les femmes à Sherbrooke recevaient surtout des conseils de base ou un suivi en sexologie. Mais au niveau de la recherche, il y avait très peu de données probantes sur les traitements efficaces pour ces douleurs », explique Morin.
La physiothérapie multimodale n’est pas couverte par la RAMQ, et peu de professionnels sont formés à cette approche. « Il faut être capable d’évaluer cette condition-là pour être capable de leur offrir des soins. »
Briser le silence, changer le parcours de soins
Une étude qualitative de l’équipe montre que les survivantes se heurtent à des barrières psychologiques et systémiques : manque d’information, gêne, résignation. Pour Guylaine Gélinas-Martel, sexologue et psychothérapeute au CIUSSS de l’Estrie – CHUS, un suivi multidisciplinaire incluant sexologie et soutien psychologique est essentiel pour surmonter la peur et la douleur.
L’IRCUS espère désormais que ses recherches inciteront les autorités de santé à intégrer ce traitement dans les soins post-cancer. « On ne peut plus fermer les yeux sur une condition qui touche tant de femmes, aussi profondément », conclut la Pre Morin.
Qu’est-ce que la dyspareunie ?
La dyspareunie est une douleur chronique ressentie lors des relations sexuelles. Elle peut être causée par des tensions musculaires, des cicatrices post-chirurgicales, des effets secondaires de traitements contre le cancer (comme la radiothérapie ou la ménopause induite) ou encore des facteurs psychologiques. Chez les survivantes d’un cancer gynécologique, cette douleur est souvent un effet secondaire persistant, encore peu reconnu dans les soins de suivi.
Crédit : Mathieu Lanthier