Par Louis-Philippe Renaud
*Ce texte fait partie d’une série de dix articles consacrés au besoin de sortir d’une trajectoire non durable.

Se questionnant sur l’impact réel de ses expériences en gestion et en communication marketing, David Roy fonde, en 2023, l’organisme sans but lucratif Ateliers pour la biodiversité. L’organisme conçoit et organise des ateliers ainsi que des formations afin de sensibiliser les professionnels et le public à la valeur et aux enjeux de la biodiversité. Mobiliser les parties prenantes pour que celles-ci tiennent compte de la biodiversité lorsqu’elles prennent des décisions constitue alors la mission de l’organisme. David Roy en appelle à l’intelligence commune et au dialogue, avec l’idée que personne n’éprouve de plaisir à bouleverser les écosystèmes.
Je donne la parole à David parce que son approche auprès du monde économique au Québec donne espoir. Le Sommet Nature & Entreprises que son équipe organisait en octobre à Montréal révèle d’ailleurs l’intérêt du privé pour la question de la biodiversité. Durant toute une journée, une cinquantaine de leaders et de spécialistes dans les domaines économiques, écologiques et sociaux échangeaient devant un public ambitieux.

Le ton ne portait pas à la complaisance ; un souci réel de comprendre les enjeux sur le terrain pour définir des stratégies réalistes émanait des panélistes. Les perspectives abondaient, tout comme les pistes de solutions.
Interventions de panélistes durant le Sommet Nature & Entreprises
En ce qui concerne la réglementation, Diego Creimer, directeur Finance et Biodiversité de SNAP Québec, invitait pour sa part à ne pas avoir « peur des normes : à très court terme, elles sont plus une possibilité qu’une entrave ».
D’autres panélistes, comme Mona Lebel de l’Institut de biomimétisme, soulignaient que « toutes les entreprises dépendent de la nature d’une façon ou d’une autre ». La biologiste Marie-Christine Bellemare évoquait, quant à elle, qu’il est « beaucoup plus rentable de conserver un écosystème fonctionnel présentement que d’essayer de mettre de l’argent dans quelque chose qu’on va essayer de construire » plus tard.
Maya Colombani, de L’Oréal Canada, poussait encore plus loin. « C’est nous qui avons besoin de la nature, ce n’est pas nous qui allons la sauver, car elle se porterait beaucoup mieux sans nous. » Elle évoque la « chute de la biodiversité de 60 à 70 % en moins de 50 ans ». Pour elle, « notre modèle économique traditionnel ne fonctionne plus, la manière dont nous vivons non plus et nous devons opérer des transformations radicales ». Elle invitait alors à assumer la « responsabilité de contribuer à notre société : ce n’est pas qu’une histoire de croissance ou une histoire de vendre des produits, c’est une histoire de faire sens et de réinventer notre relation avec la nature ».
Le vice-président Finance durable chez Finance Montréal, Florian Roulle, a livré pour sa part un brillant plaidoyer. Selon lui, alors que la construction de plateformes commerciales, même carboneutres, « entraine la disparition d’écosystèmes gorgés de vie », le fait de continuer d’affirmer que cela représente un progrès ou la croissance signifie que « nous n’aurons pas véritablement abordé les problèmes fondamentaux ni posé les bonnes questions. Donc ça, c’est un enjeu qu’on doit affronter collectivement. Puis je pense que la connexion entre le milieu économique, académique, scientifique et celui des biologistes reste cruciale pour pouvoir adresser ces problématiques-là ».
Traiter les gens avec dignité
À écouter ces panélistes, le défi réside au-delà des actions individuelles, dans les structures sous-jacentes. C’est pourquoi il est important pour David Roy de « traiter les gens comme des êtres intelligents et de faire une place au dialogue ». Il explique : « parce que nous connaissons mieux la science, nous allons parfois parler à ces personnes comme s’ils étaient des individus qui détruisent tout, qui auraient un système de valeurs en désalignement avec la protection de la nature ». Les réalités se complexifient et le système est bien ancré, alors nous devons « traiter les gens avec dignité ».
David ignorait d’ailleurs tout de la biodiversité il y a 5 ans, et, aujourd’hui, il considère encore en comprendre bien moins qu’un biologiste. Conscient que son histoire résonne avec beaucoup de monde, il rappelle la nécessité « de parler aux gens un langage pour qu’ils comprennent pourquoi on a dévalorisé la nature, puis pourquoi on doit faire des changements ».
Des qualités humaines précieuses
Rendre possible ce monde viable que nous chérissons tant implique de « s’asseoir avec les gens qui vont le bâtir ». C’est pourquoi David mise sur la collaboration, l’ouverture, l’humilité et l’optimisme.
Des changements majeurs doivent être entrepris pour que l’économie considère la biodiversité. Cependant, « il ne faut pas se le cacher, les gens se sont rendus à un endroit pour suivre leurs aspirations avec les privilèges associés. Si tu commences par les leur enlever sans leur montrer les voies possibles pour la société et pour eux aussi, tout le monde s’opposera. Nous devons le faire ensemble parce que, sinon, nous n’y arriverons pas ».
Le dialogue permet les compromis. Quand « on blâme les autres, ils ne travailleront pas avec nous ». Rejeter avec mépris la réalité de l’autre sans chercher à la comprendre ne mène pas à la collaboration… Selon David, « il faut savoir s’écouter ; c’est une clé cruciale ! ».
Des changements inévitables
J’aime bien le fait que David rappelle que nous possédons tous un degré différent de facilité et de résistance face aux changements. D’où la nécessité pour lui de prendre le temps d’expliquer non seulement quoi faire, mais aussi pourquoi le faire. Il admet qu’il y aura toujours des personnes réticentes à l’adaptation : « ils vont devoir changer aussi parce que le système va inévitablement changer… ».
Effectivement, des pratiques liées aux entreprises dans le système économique et social actuel détruisent la biodiversité et c’est un cul-de-sac. De plus en plus d’économistes, dont Marc Fleurbaey, ciblent la valeur placée dans le revenu et le profit comme source principale de destruction des écosystèmes, de surexploitation des ressources naturelles, de destruction d’habitats, ou de production de déchets. Il n’en tient qu’à nous pour repenser nos modes d’activité et de les rendre plus respectueux de la biodiversité. C’est ce que David nous offre de réaliser ensemble !