Par Ismaël Lamoureux

Après près d’une décennie à la tête du Canada, Justin Trudeau a annoncé sa démission le 6 janvier dernier. Élu en 2015, après la plus longue campagne de l’histoire canadienne, d’une durée de 78 jours, Justin Trudeau était entré au pouvoir sous un gouvernement majoritaire. Neuf ans plus tard, c’est avec un gouvernement divisé que le premier ministre décide de quitter ses fonctions. Retour sur son règne.
Lors de son entrée en 2015, le politicien de 43 ans misait sur un agenda nettement plus progressiste que ce à quoi avait été habitué le Parti libéral du Canada (PLC). Un positionnement qui contrastait surtout avec le style de gestion que proposait l’ancien gouvernement conservateur Harper. C’est avec cette nouvelle vision que Justin Trudeau est devenu le 23e premier ministre du Canada, le 19 octobre 2015.
Après l’absence du premier ministre Harper dans les instances mondiales, Justin Trudeau faisait la promotion d’un Canada de retour sur la scène internationale en misant entre autres sur le multilatéralisme. Cette orientation a commencé en grande pompe avec la signature de l’Accord de Paris en 2015, avec laquelle il souhaitait s’inscrire fermement en faveur de la lutte aux changements climatiques. Dès les premiers mois, il a engagé une politique étrangère féministe, attribuant environ 70% des programmes d’aide au développement spécifiquement en appui aux femmes et aux filles.
L’élection surprise de Donald Trump à la Maison Blanche en 2016 a demandé au gouvernement Trudeau de porter une grande attention aux relations canado-américaines, alors que l’ALÉNA devait être renégocié. Pendant ces mêmes années, alors que de bonnes relations avec l’Europe ont globalement été maintenues, la possibilité de rapprochement entre le Canada et les gros joueurs asiatiques que sont la Chine et l’Inde a fondu comme neige au soleil.
Un pacte dispendieux
En 2022, à la suite de l’élection de leur deuxième gouvernement minoritaire, les libéraux ont conclu une entente avec le Nouveau parti démocratique (NPD). En contrepartie, l’équipe Trudeau devait ajouter à son plan la création d’une assurance-médicaments et d’une assurance dentaire à la demande de Jagmeet Singh. Deux mesures en santé qui ont été qualifiées d’affronts au respect des champs de compétences du Québec, par le premier ministre François Legault. Ces politiques ont également forcé plus de dépenses pour un gouvernement qui affiche désormais un déficit historique de 62 milliards.
Depuis l’été 2023, le parti conservateur a largement dépassé les libéraux dans les intentions de vote partout au Canada, sauf au Québec où c’est le Bloc Québécois qui domine. Avec les mauvais sondages qui s’accumulent pour le camp libéral, plusieurs ministres ont annoncé qu’ils ne seraient pas sur les rangs lors de la prochaine élection. L’écart de plus de 20 points en faveur des troupes de Pierre Poilièvre pourrait vraisemblablement donner lieu à l’une des plus fortes majorités de l’histoire du Canada. Peu avant la période des fêtes, Justin Trudeau a perdu sa plus forte alliée, la vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland. Une annonce qui aura mis le dernier clou dans le cercueil d’un premier ministre en fin de régime.
Des relations Québec/Canada variables
Depuis 2015, celui qui est aussi député de la circonscription montréalaise de Papineau a réussi à faire élire 40 députés au Québec. Une crédibilité que les libéraux ont réussi à regagner dans la belle province depuis le scandale des commandites qui avait fortement nui à l’image du parti au Québec. Les Québécois et Québécoises avaient du mal à digérer l’utilisation de fonds publics en faveur du camp du « non » lors du référendum de 1995 par le gouvernement libéral de Jean Chrétien.
Vraisemblablement, le Québec s’est laissé charmé par les propositions sociales-démocrates du jeune père de famille. Quatre ans plus tôt, c’était pourtant le NPD qui balayait le Québec.
Après l’élection du gouvernement de François Legault en 2018, dont les troupes revendiquaient le nationalisme québécois, les relations Québec-Ottawa se sont graduellement tendues. L’opposition du gouvernement Trudeau à la Loi 21 sur le port des signes religieux pour les personnes en position d’autorité a fortement contribué à la renaissance du Bloc Québécois, et donc à la perte du statut de majorité du gouvernement libéral lors de l’élection de 2019.
Malgré les récents investissements du gouvernement fédéral dans l’économie du Québec, la volonté du gouvernement de la Coalition Avenir Québec de protéger l’identité québécoise s’inscrit en porte-à-faux avec le multiculturalisme canadien de Justin Trudeau, amenant François Legault à appeler la population québécoise à voter « bleu » lors des élections de 2021.
Quelle suite pour le PLC?
Justin Trudeau a annoncé qu’il démissionnerait de son poste de premier ministre une fois que le PLC aura trouvé la personne qui pourra lui succéder à la tête du parti, mais également à la tête du pays.
Étant donné que tous les partis d’opposition disent vouloir voter pour le faire tomber le gouvernement dès leur retour en chambre, la nouvelle personne première ministre pourrait rester en poste très peu de temps avant de tenter de sauver les meubles en campagne électorale.
À l’heure actuelle, deux principaux candidats font les manchettes : l’ancienne numéro 2 du gouvernement, Chrystia Freeland, et Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre et conseiller économique du gouvernement libéral.
Karina Gould, la leader parlementaire du parti, a confirmé qu’elle souhaite être de la course. L’alternance naturelle entre un chef anglophone et un chef francophone réduit les chances de voir un candidat comme François-Philippe Champagne, un ministre issu du Québec, dans la course.
Quoi qu’il en soit, la personne élue devra faire des pieds et des mains pour se distancier du bilan de Justin Trudeau tout en ne reniant pas ses racines libérales. La tâche s’annonce insurmontable devant un Pierre Poilievre, prêt à aller en élection, et qui teste déjà ses lignes de communication pour dépeindre chacun des candidats potentiels.
Source: European-Union-Flickr