Par Meg-Anne Lachance

Pour la première fois depuis 14 ans, aucune femme n’était présente au débat des chefs, après que la cocheffe du Parti vert ai cédé sa place à son homologue masculin. Cette absence de représentation féminine soulève des questions quant à l’avenir de la défense des droits des femmes et la capacité des chefs à y parvenir.
Une heure et cinquante-trois minutes, voilà le temps qu’il a pris avant d’entendre le mot « femme » au débat francophone de mercredi soir dernier. Pendant les deux heures d’émission, seulement cinq minutes ont été accordées aux enjeux concernant les droits des femmes, période durant laquelle aucune femme n’est intervenue.
Avec le retrait d’Elizabeth May (cocheffe du Parti Vert), aucune voix féminine ne fait partie des chefs. Bien que cette dernière désole ce manque de représentativité, Mme May reste d’avis que son retrait était la bonne décision.
« Je suis certaine que Jonathan est le meilleur choix entre nous deux. Moi, je suis âgée, les médias me connaissent bien, j’ai déjà participé à des débats. Mais en même temps, je me suis rendu compte que le résultat de [ce choix], c’est qu’il n’y aura aucune femme sur le plateau des débats », a expliqué Elizabeth May en entrevue avec Radio-Canada.
Mais alors que le monde connait une croissance fulgurante du masculiniste, cette absence féminine ne vient-elle pas d’amplifier l’ombre qui plane toujours sur les femmes?
Les femmes pas assez « essentielles »?
Le 14 mars dernier, Mark Carney présentait son nouveau cabinet présidentiel. Dans sa liste des ministères, le poste de ministre des Femmes et de l’Égalité des genres ne figure plus. « Notre gouvernement se concentrera sur l’essentiel », affirme Carney. Devons-nous comprendre que les femmes ne sont pas essentielles?
Même si 52% de la population canadienne sont des femmes, il semble acceptable de les mettre de côté, au profit des calculs politiques.
Dans une lettre ouverte publiée en mars dernier, une coalition de quinze organismes canadiens, dont l’Institut canadien de recherches sur les femmes et YMCA Canada, dénonce le retrait de ce ministère.
« La suppression de ce poste ministériel n’est pas seulement une perte symbolique ; elle a des conséquences concrètes pour des millions de femmes, de personnes issues de la diversité de genre et de travailleurs au Canada, qui comptent sur le gouvernement pour protéger leurs droits et faire avancer leurs intérêts », peut-on lire dans la lettre.
Pendant qu’Ottawa annonçait la suppression du ministère, Marci Len, ancienne ministre des Femmes et de l’Égalité des genres, défendait l’importance de ce type d’initiative devant l’ONU.
Quelle ironie.
Au débat des chefs, l’enjeu est vaguement couvert. Après une courte vidéo d’une citoyenne interrogée pour l’occasion, Patrice Roy pose la question suivante : « Est-ce que vous vous engagez à ce qu’il n’y ait aucun recul sur les droits des femmes et a poussé la gratuité de la contraception? »
C’est le Parti conservateur qui ouvre le pas, en affirmant qu’il n’adoptera jamais des lois pour restreindre l’avortement. « C’est dans notre politique depuis vingt ans et ça ne va pas changer, c’est une garantie que je vous offre », promet Pierre Poilièvre. Mais que vaut cette promesse alors que cette « garantie » ne semble pas être claire au sein même de son propre parti?
Quelques minutes plus tard, c’est au tour du Bloc québécois, qui assure qu’« aucun député ou aucune députée pourra déposer des projets de loi ou des motions hostiles à l’avortement ». « La politique tel qu’elle se pratique aujourd’hui, notamment à cause d’influence américaine, est difficile pour les femmes, mais il y a plein de moyens, petits, incitatifs et qui s’additionnent et qui invitent une participation féminine », poursuit son chef, Yves-François Blanchet.
Le NPD, quant à lui, applaudie l’entente conclu par le parti concernant l’assurance médicament. « Vous avez parlé de l’assurance médicaments, c’est grâce au NPD! […] On pense que c’est essentiel d’avoir accès aux contraceptifs ».
Mise à part cette brève mention par Jagmeet Singh, aucun homme n’a adressé la gratuité de la contraception.
Dépassé par la criminalité
« On va élargir le droit des femmes, en s’attaquant sur la criminalité faite aux femmes. Les femmes sont souvent des victimes des agresseurs libérés une fois après l’autre à cause des lois libérales qui permettent aux plus grands criminels de refaire les mêmes crimes ». Dans la deuxième partie de sa réponse, Poilièvre dérive du sujet pour se concentrer sur la criminalité.
Alors que le Bloc et le NPD ont tous deux mentionné certains enjeux des femmes en politiques, la prise de parole de Mark Carney prend le même détour que son collègue conservateur, en portant plutôt sur l’utilisation de la clause nonobstant et ses dangers pour les droits et libertés de la population canadienne. S’en suit un débat de plusieurs minutes sur le système judiciaire canadien.
Plutôt que de parler des enjeux urgents, les quatre chefs ont préféré utiliser leur temps pour s’obstiner sur la criminalité. Comme quoi, si nous voulons empêcher le recul des droits des femmes, nous devons travailler sur l’incarcération.
Pendant ce cours temps accordé aux droits des femmes, aucune mention de la suppression du ministère des Femmes et de l’Égalité des genres, des 187 féminicides de l’an dernier, des débordements en centre d’hébergement, de la hausse des discours masculinistes ou encore de l’absence de parité chez certains partis.
Non, lamentons-nous sur la difficulté de recruter des candidatures féminines, sans nous questionner davantage sur le pourquoi et faisons allusion au tueur de la Grande Mosquée de Québec. N’est-ce pas là que réside la solution?
La position des partis sur la question d’un recul des droits des femmes n’a pas pu être clarifiée, trop cachée par l’ombre des hommes meurtriers. Un point clair est toutefois ressorti du débat : aucun de ces quatre chefs n’a démontré détenir la capacité pour faire valoir la cause des femmes.
Certains d’entre eux ont soulevé les difficultés qu’ils ont rencontré lors du recrutement des femmes pour leur parti. Eh bien, messieurs, je crois pouvoir vous dire avec certitude que vos performances du 16 avril dernier n’aideront en rien la représentation des femmes dans le domaine.
Vous aviez la chance de prouver être des hommes à l’écoute des besoins et prêts à défendre nos droits. Or, vous nous avez montré une fois de plus que la colline parlementaire à Ottawa n’est rien de plus qu’un bon vieux Boys Club.
Source : Université Laval


Meg-Anne Lachance
Étudiante en politique, Meg-Anne a toujours été intéressée par les enjeux internationaux, sociaux et environnementaux. Après avoir occupé le rôle de journaliste aux Jeux de la science politique, elle a eu la piqûre des communications. Guidées par un sentiment d’équité, elle s’efforce de donner une visibilité aux actualités oubliées. Féministe dans l’âme, vous pourrez certainement retrouver cette valeur dans certains de ses textes!