Le 6 janvier, alors qu’avait lieu la certification officielle des résultats de l’élection du 3 novembre 2020, le monde a assisté à une scène qui aurait encore été considérée comme impossible il y a à peine quelques années. De fervents supporters de Donald Trump ont pris d’assaut le Capitole à Washington. Ces images à glacer le sang tracent un portrait affaibli de ce qui a longtemps été considéré comme la plus grande démocratie du monde.
Par Josiane Demers
Les États-Unis n’ont pas échappé à la montée du populisme en élisant Trump à la tête du pays en 2016. Plusieurs ont sous-estimé les dommages qu’il pouvait causer. Comment Donald Trump a-t-il réussi, en aussi peu de temps, à mettre en péril un système démocratique établi depuis quelques centaines d’années ?
Tout bon dictateur
Dans un balado de la Chaire Raoul-Dandurand, le titulaire Frédérick Gagnon s’inspire de quelques auteurs, dont l’historien américain Timothy Snyder, pour expliquer les stratégies communes utilisées par les chefs d’État à tendance despotique. Tristement, ces méthodes s’apparentent à celles de Trump. Premièrement, tout futur tyran se doit de discréditer les institutions en place. Deuxièmement, il doit démontrer une hostilité face à certaines réalités, c’est-à-dire de démentir des phénomènes non contestables établis par des faits, tel un résultat d’une élection, par exemple. Dernièrement, il faut mentir et suggérer constamment l’existence d’une autre « vérité », sans toutefois avoir des preuves. Le dictateur répète alors ce message alternatif si souvent que ses partisans finissent par y croire. C’est ce qui s’est produit avec l’affirmation voulant qu’une fraude électorale massive ait eu lieu afin de teinter les résultats de la dernière élection présidentielle.
Rationnellement, avec du recul, les tendances dictatoriales de Donald Trump sont évidentes. Il est donc difficile de comprendre que les gens adhèrent à cette rhétorique. Comme tout bon manipulateur, le commandant en chef s’est faufilé insidieusement dans les foyers de certains républicains qui en avaient assez de l’establishement démocrate. Il a habilement joué sur leurs cordes sensibles en se positionnant notamment contre l’avortement, pour les armes et contre l’immigration illégale. Il a maintenu l’économie en santé. Il a gagné leur confiance petit à petit pour finalement être en mesure de leur faire avaler n’importe quoi à coups de gazouillis sur Twitter. Comme dans une relation de couple malsaine, c’est souvent après que les gens réalisent qu’il y avait un problème.
Quand l’extrême droite s’en mêle
Cela semble presque lointain maintenant, mais il fut un temps où les néonazis étaient gênés d’exprimer leurs opinions. Évidemment les réseaux sociaux leur ont permis de se trouver, de se rassembler et de s’organiser, mais Donald Trump les a décomplexés et les a validés dans leurs croyances. Déjà en 2017, lors d’un rassemblement d’extrême droite incluant des membres du Ku Klux Klan, des néonazis et d’autres suprémacistes blancs à Charlotteville en Virginie où une manifestante antiraciste avait été tuée, le Président avait déclaré qu’il « y avait de bonnes personnes des deux côtés ». Il a dénoncé la violence sans jamais nommer ces groupes radicaux.
Plusieurs participants de l’assaut au Capitole appartenaient à de tels groupes, d’autres adhérant à Qanon ou aux Proud Boys. Qanon regroupe des complotistes qui croient, entre autres, à un conflit secret entre Trump et des élus démocrates infiltrés dans le gouvernement et les médias. Ces personnes maintiennent que cette élite du deep state fait partie d’un réseau pédophile satanique qui veut diriger le pays. Comme l’a expliqué Richard Hétu dans un article de la presse, les groupes de suprémacistes blancs comme les Proud Boys sont encore plus dangereux à cause de la problématique de racisme bien ancrée aux États-Unis depuis la guerre civile de 1861.
Incitation à la violence et destitution
Plusieurs de ces gens se sont retrouvés parmi la foule qui est entrée de force dans le Capitole et a fait cinq morts et plusieurs blessés. L’objectif était d’empêcher la confirmation du président élu Joe Biden parce qu’ils croyaient aux théories de Trump voulant que l’élection ait été « volée ». Ces partisans semblaient croire dur comme fer que leur cause était noble. Il n’est pas surprenant qu’ils aient réagi ainsi après une campagne de désinformation menée par le président lui-même au sujet du processus électoral. Rappelons qu’aucune procédure judiciaire n’a prouvé qu’il y avait eu fraude. Il s’agit d’une réalité alternative montée de toute pièce.
Au-delà de l’image dévastatrice de cet assaut qui restera gravée dans l’imaginaire collectif, il y a un président qui a incité la foule à prendre les armes. En effet, monsieur Trump a prononcé des phrases comme : « we will never give up, we will never concede » et « if you don’t fight like hell, you won’t have a country anymore ». Cette dernière phrase représente ce qui a incité les démocrates à initier une deuxième procédure de destitution.
Pour la première fois de l’histoire, un président américain fait face à une deuxième procédure de destitution. En effet, dans un vote de 232 à 197 et sur des bases « d’incitation à la violence », la Chambre des Représentants a voté en faveur de ce processus. Il est à noter que 10 représentants républicains se sont joints aux démocrates lors de ce vote. Au préalable, les bleus avaient demandé au vice-président Mike Pence, qui a accepté les résultats de l’élection, d’invoquer le 25e amendement de la constitution pour remplacer Trump, ce qu’il a refusé.
Ne pas ignorer
Il est primordial de ne pas démoniser tous les républicains. Plusieurs, possiblement la majorité, n’adhèrent pas à des idées d’extrême droite. Néanmoins, pour Joe Biden, qui veut devenir le président de « tous les américains », il est essentiel de ne pas ignorer les clivages idéologiques majeurs aux États-Unis. Il devra composer avec les groupes extrémistes de la droite radicale. Ils ne disparaitront pas le jour de son assermentation. Dans un sondage de Reuters, il est indiqué que 39 % des répondants sont d’accord ou en partie d’accord avec que le fait que l’élection ait été « arrangée », donc illégitime. Comme l’explique Frédérick Gagnon, cette méfiance a beau avoir été créée de toute pièce par Trump, le fait est que beaucoup d’Américains ne font plus confiance au système.
Seul l’avenir pourra nous démontrer si Trump a quitté juste à temps pour remettre le navire démocratique sur la bonne voie ou si les dégâts sont déjà trop grands et le feront couler. Une chose est sure, avec une crise sanitaire, une crise économique, des relations internationales houleuses et une perte de confiance de l’électorat, Joe Biden a du pain sur la planche.