Par Estelle Lamotte
[OPINION] « Fusillade au Texas : aux USA plus d’armes à feu en circulation entrainent toujours plus de morts », titre Le Monde. « Fusillade dans une école au Texas : sept chiffres effarants sur les armes », titre Ouest France. Aux États-Unis, où la narration de l’acte héroïque par l’usage des armes est de commun usage, les actes de violence font récemment florès : en cause, depuis le début de l’année 2022, on compte davantage de fusillades que de jours écoulés (selon les calculs de The Trace). Retour sur ces présents évènements, dont l’abondance marque un paysage américain en proie au ravivement du débat, en réalité de longue date.
Une exacerbation de la production d’armes à feu depuis 2000
S’il demeure un point pour lequel le débat n’a pas lieu d’être, c’est bien au niveau de la tendance à l’augmentation des armes à feu. D’après les chiffres fournis par l’Agence France Presse, les fabricants américains ont produit plus de 139 millions d’armes à feu destinées au commerce au cours des vingt dernières années. L’export des armes, que l’on sait traditionnellement dominé par les États-Unis (qui s’arrogent 37 % des parts du marché de l’export), est également en augmentation, le pays ayant marqué une croissance de cinq points, comparativement à la période 2011-2015.
Le ravivement d’un débat de longue date
Deuxième amendement, 15 décembre 1791 : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, il ne sera pas porté atteinte au droit du peuple de détenir et de porter des armes. » C’est ainsi que, depuis 1791, le droit de porter une arme n’a jamais été remis en question. S’il demeure important de considérer l’importance historique relative à l’inscription dans la constitution du port d’armes, il convient, d’après les détracteurs, de considérer l’importance de l’écosystème pour lequel cette réalité était, à l’époque, originellement promulguée.
Force est de constater qu’en dehors des villes, il n’existait originellement pas ou peu de police pour assurer la protection d’individus. Selon une étude de l’UCLA et de Harvard, chaque fusillade provoque, dans l’année qui suit, une augmentation de 15 % des propositions de loi sur le port des armes. Fusillade de Las Vegas, 2017, 59 morts. Fusillade du 12 juin 2016 à Orlando, Floride, 50 morts. Fusillade de l’Université Virginia Tech, Virginie, 2007, 33 morts. Tuerie de l’école primaire Sandy Hook, Connecticut, 2012, 28 morts. Et il y en a d’autres. La fréquence des évènements donne lieu à un retour continu des débats, alors remis sur la table, çà et là, sur cette question qui divise : faut-il autoriser le port des armes ? Quand et pour qui ?
Dans un premier temps, force est de constater l’influence du lobby des armes sur les débats autour de la possession des armes aux États-Unis. Oui, l’argent demeure le nerf de la guerre. Défendant le droit des Américains de porter des armes, la National Rifle Association — association en tête du lobby proarmes à Washington — est la partie visible de l’iceberg. N’hésitant pas à influencer le Congrès américain pour s’assurer d’un soutien, cette dernière tente d’évacuer toute possibilité de législation permettant un contrôle plus strict des armes à feu.
Selon les détracteurs, le port d’armes devrait se limiter aux miliciens. L’adoption d’un tel amendement nécessite une majorité de trois quarts des assemblées des États votant pour l’amendement. Le Congrès américain, sous domination républicaine, a rejeté toutes les propositions, mêmes légères, dont la visée était de restreindre d’une quelconque façon le droit des citoyens américains à porter une arme à feu. En somme, un débat redondant dont la complexité multidimensionnelle témoigne du clivage de la société américaine. Bref, un débat qui n’est pas près de se terminer.
L’arme à feu, un « objet culturel », un attachement au vécu ?
À différents moments de l’année, Miami, Winstom et Virginia Beach deviennent, tour à tour, théâtres de « Guns Shows ». Ces foires aux armes sont en réalité un moyen d’exposer l’arsenal disponible des armes sur le marché. Il s’agit d’un évènement culturel comme un autre. Par exemple, il suffit de vagabonder dans les allées de ces évènements pour apercevoir d’autres passionnés. On essaie les fusils, puis on va s’entrainer sur des champs de tir : c’est une forme d’activité.
Même à la télé, il y a une omniprésence des armes. En cause, les chiffres le prouvent : ce sont trois fois plus d’armes à feu dans les films pour adolescents, depuis 1985, selon une étude publiée en 2013. Puis, il se peut même qu’un magazine publicitaire, déposé dans la boite aux lettres soigneusement ornée d’un drapeau américain, contienne tout un éventail d’armes à feu.
Il s’agit -là de comprendre l’arme comme un objet de culture, structurant en partie la culture américaine, indissociable de l’Ouest du pays et de l’imaginaire collectif, où le cinéma apparait comme un instrument assurant le soft power. D’un point de vue sociologique, ce sont ces mêmes normes, qui, intériorisées par les acteurs, ont pour mission d’assurer la continuité et la fondation du lien social entretenant le mythe américain.
Crédit image @Mykola Makhlai