Par Alysée Lavallée-Imhof
L’impuissance. Un sentiment partagé dont on parle si peu ou à demi-mot. Ne s’agissant guère des petits maux qui peuvent troubler la gent masculine, l’impuissance — plus générale celle-là — n’épargne que quelques tout-puissants de ce monde.
Mon oncle en est si gravement atteint que parfois, j’entends le cynisme percer dans sa voix. Puis, il y va d’un rire jaune, de quelques éclats qui sonnent faux – qui ne cessent de me rappeler les rires de sitcom dans How I met your mother. Puis, il y a les soupirs de ma mère, attablée devant son journal, la mine dépitée. Et, enfin, le voisin qui ne sourit d’un petit rictus forcé que trop rarement et — trop — souvent alors pour masquer son profond désarroi. Bien étrange mal que celui de l’impuissance qui souvent guette davantage les plus âgés, mais dont les symptômes fatidiques ne sauraient tarder à apparaitre chez la prochaine génération.
L’impuissance. Devant un monde qui se meurt, alors qu’une poignée de riches détiennent tout et qu’une masse, au mieux, parvient à vivre convenablement en travaillant d’arrache-pied. Métro-boulot-dodo, et ainsi va la monotonie du quotidien dans une implacable ritournelle. Et puis, comme elle doit bien survivre, elle n’a d’autre choix que de consommer, la masse. Enrichissant chaque jour un peu plus les grands qui contrôlent, chaque jour, un peu plus qu’ils ne devraient.
La puissance masquée du « nous »
Mais, n’en déplaise à certains, la masse aura toujours un avantage sur la richissime minorité : son nombre. Parce qu’il y a ma mère, mais aussi mon oncle, ma voisine, et bien d’autres encore. Et tous achètent. En petites ou grandes quantités, peu importe, mais au final, c’est bien cette masse qui fait vivre ces quelques milliardaires. Acheter, c’est faire un choix – voire voter aux dires de Laure Waridel. C’est encourager une marque, une compagnie au détriment d’une autre et endosser ses pratiques. Qui prétend ne pas connaître les nombreux effets nocifs des pesticides sur les cultures et sur le sol? Qui, encore, pourrait afficher fièrement un chandail Made in Bangladesh en ne se doutant pas que les mains qui l’ont cousu œuvraient dans d’inhumaines conditions? Feindre l’ignorance pour préférer à la vérité la douce tranquillité d’esprit que procure le déni, c’est faire un choix. Encore faut-il admettre que tout n’est pas si simple…
Le dilemme : entre le panier et les billets verts
Agir coûte. À preuve, l’item au label bio se détaille – généralement – plus cher sur les tablettes. Parfois quelques cents, mais d’autres fois, c’est le double du prix. Idem pour le local, l’équitable et tous les autres. Alors que le cœur s’emballe et que la main se porte instinctivement vers l’aliment marqué du fleurdelisé, la tête calcule, armée d’un sang-froid implacable. Entre le panier et les billets verts, le dilemme contraint à faire des choix qui dérogent parfois de l’idéal, de ces principes que l’on voudrait immuables. Alors que passivement on attend un signe, là bêtement sous les néons crépitants de l’allée des fruits et légumes, tiraillés entre le cœur et la tête, l’évidence y est : portefeuilles fauchés d’étudiants – et de travailleurs – ne sauront satisfaire toutes les envies. Contraintes budgétaires obligent, à y entendre la voix de Gérald Fillion. Pour certains, le changement ne s’opérera que par l’achat de quelques produits responsables par semaine. Quelques carottes certifiées bios, des sacs à poubelle biodégradables et du café équitable, tout au plus. Un changement imperceptible, infime, ridiculement minuscule, certes. Mais les prémisses d’un changement tout de même : pour faire taire l’impuissance.