Par Charles Amyot

16 avril 2025, grosse soirée en vue : seul débat des chefs en français, puis dernier match des Canadiens de Montréal en saison régulière tout de suite après. Les chefs y ont joué leur campagne électorale. Les Canadiens y ont joué leur saison.
Carney ne doit pas perdre l’appui que les sondages semblent lui donner. Poilievre doit chercher cet appui, alors que Blanchet et Singh doivent le récupérer. Si les récents sondages semblent déjà avoir déclaré les libéraux vainqueurs et que le débat des chefs a habituellement un poids relatif pour le choix des électeurs, il peut néanmoins influencer grandement le scrutin du 28 avril prochain.
Tarifs à l’agenda
Sans grande surprise, la première partie du débat a été destinée aux relations canado-américaines. Qui est le meilleur pour contrer Trump ? Comment contrer Trump ? Voilà les questions centrales auxquelles ont répondu les chefs au début du débat. Si les quatre chefs n’ont pas été d’accord souvent lors de cette soirée, ils ont tous convenu que le Canada devait diversifier ses partenaires économiques. Ils ont aussi tous reconnu que Trump demeurait ultimement très imprévisible, peu importe le Premier ministre en poste et peu importe le déroulement des négociations.
Coût de la vie
Si tous les chefs ont convenu que le coût de la vie est un enjeu important pour les électeurs, ils proposaient tous des mesures distinctes. Carney a promis la construction de deux fois plus de logements. Poilievre, quant à lui, a proposé le retrait de la TPS sur une première maison et de baisser les impôts. Son antagoniste, Singh, l’a critiqué en soulevant que la baisse d’impôts avantage surtout les plus riches en plus de mener nécessairement à une baisse des revenus de l’État, soit une baisse des services offerts. Il proposait plutôt de plafonner le prix des aliments essentiels et d’interdire l’achat des propriétés par certains investisseurs immobiliers. Enfin, Blanchet critiquait les trois autres chefs de faire des promesses non chiffrées, les libéraux, les conservateurs et les néo-démocrates n’ayant pas encore déposé de plateforme. Le chef bloquiste a plutôt proposé de permettre un régime fiscal particulier pour les parents voulant décaisser leur REER sans imposition au profit de leurs enfants qui souhaitent acquérir une première propriété.
Environnement ou économie ?
Augmenter la production de pétrole au détriment de l’environnement ? Carney et Poilievre ont répondu sans hésitation par l’affirmative, eux qui sont en faveur d’un pipeline d’un océan à l’autre. Diamétralement opposé à l’idée, Yves-François Blanchet a dit préférer vouloir signer la Constitution canadienne que de donner son aval à un tel projet pétrolier. Le chef bloquiste a rappelé en outre qu’un pipeline ne bénéficierait ultimement pas aux consommateurs, mais plutôt aux multinationales. Il a dit vouloir prioriser l’énergie propre que le Québec est capable de développer seul.
Le choix des verts à cette question ne laisse aucun perplexe. Or, Pedneault a été exclu du débat le jour même par la Commission des débats des chefs, arguant que le Parti Vert n’a pas présenté des candidats dans 90 % des circonscriptions. Ne respectant pas non plus une autre condition, à savoir l’appui populaire de 4 % de la population dans les intentions de vote, le Parti Vert ne se qualifie plus à deux des trois conditions pour faire partie du débat des chefs.
Le Canada est-il uni ?
Les relations Québec-Canada ont aussi laissé leurs marques dans le débat, notamment en ce qui concerne l’éventuelle contestation de la Loi 96 en Cour suprême. Carney s’est engagé à nouveau à appuyer une contestation de la Loi 96 jusqu’en Cour suprême pour que la clause dérogatoire ne soit plus utilisée à tout coup. Poilievre ne compte pas intervenir. Blanchet, lui, s’est fait porte-étendard de la langue française et de la culture québécoise.
Carney évasif
Ce débat en français représentait un défi de taille pour l’actuel Premier ministre. Nettement favori dans les sondages, il ne pouvait que perdre. Et c’est ce qu’il a fait avec des réponses évasives. Effectivement, Carney, à l’effigie de Singh, a eu de la difficulté à répondre clairement à plusieurs questions, pourtant claires. C’est le cas en matière d’affaires étrangères où il a reconnu que les délais pour les demandes d’asiles au Canada étaient déraisonnables, mais où il a refusé de baisser les seuils de nouveaux arrivants. Il a aussi eu de la difficulté lorsque Jagmeet Singh lui a demandé de reconnaitre le génocide perpétré par Israël à l’endroit de la Palestine, ce que le Premier ministre a refusé de faire à demi-mot.
Un nouveau Pierre Poilievre
Si le chef de l’opposition officielle a la réputation d’être arrogant, voire condescendant, autant au Parlement que devant les journalistes, il semble avoir adopté une nouvelle approche depuis le début de la campagne. Ce nouveau Pierre Poilievre était présent au débat, le sourire aux lèvres concentré sur ses slogans et propositions phares. Le chef conservateur a même pris le temps de détendre l’atmosphère avec quelques blagues. C’est notamment le cas lorsqu’il a répondu au chef bloquiste que le troisième lien allait être bleu. Qu’on aime ou non les politiques conservatrices, cette attitude de Poilievre lors du débat ne peut jouer qu’en sa faveur.
Blanchet posé et articulé
Blanchet est un habitué de ce genre de débat. À l’ombre des tarifs de Trump, le débat a été une occasion unique et importante pour Blanchet de rappeler que seul le Bloc peut défendre les intérêts du Québec. C’est ce qu’il a fait avec brio soulignant qu’il n’y avait pas une seule économie, sans oublier de parler de culture et de langue française. Ses positions et propositions ont sans doute été les plus complètes et les plus claires. Maintenant reste à savoir si cela va paraître sur les bulletins de vote.
Singh discret, mais intègre
Le chef néo-démocrate peine à se faire une place lors de cette campagne électorale, le NPD se faisant soutirer son appui par le Parti Libéral. Le débat a reflété la campagne électorale néo-démocrate, lui qui s’est d’ailleurs choqué contre Patrice Roy prétendant avoir moins de temps de parole que ses homologues. Rendons à César ce qui revient à César, Singh est resté très intègre dans ses positions de venir en aide aux moins nantis, réitérant d’ailleurs l’importance d’offrir des soins dentaires à tous, nonobstant les coûts engendrés et l’ingérence dans les champs de compétences du Québec.
Tout compte fait, il est difficile de déterminer un vainqueur à ce premier et dernier débat en français. Ce sera aux électeurs de choisir dans les prochains jours la composition du Parlement pour les quatre prochaines années. Quoiqu’il en soit, il est plus facile de déclarer les Canadiens de Montréal vainqueurs par la marque de 4-2 aux dépens des Hurricanes de la Caroline. Ce sera intéressant de les suivre en séries pour les prochaines semaines, à tout le moins, autant que de suivre cette campagne électorale !
Crédit : ULaval