Texte d’opinion par Félix Boulanger-Martin

Récemment, la décision du nouveau président des États-Unis d’imposer des tarifs sur les importations canadiennes a suscité une levée de boucliers au sein de notre classe politique et une ferveur patriotique rarement vue parmi la population. Par ses menaces, Donald Trump aurait-il mis le doigt sur un point sensible, révélant une vérité enfouie et quelque peu dérangeante ? La question mérite qu’on s’y attarde.
Depuis plusieurs semaines déjà, le nouveau locataire de la Maison-Blanche, dit qu’il veut faire du Canada le 51e État. Même si, politiquement et diplomatiquement, ses dires relèvent de la pure folie, culturellement et socialement parlant, son objectif est déjà atteint.
Si l’on observe nos habitudes de plus près, il devient évident que la société canadienne – et québécoise – adopte bon nombre de traditions américaines. Nous aimons croire que nous sommes fondamentalement différents de nos voisins du Sud, mais l’écart est-il vraiment aussi grand qu’on le prétend ?
Une consommation à l’américaine
Un sondage réalisé à la suite de la fermeture des entrepôts d’Amazon au Québec pour bloquer leur syndicalisation en témoigne. Une large majorité des répondantes et répondants déclaraient avoir déjà effectué des commandes auprès de la célèbre entreprise spécialisée dans la vente en ligne.
Monsieur et Madame Tout-le-Monde ne sont pas les seuls. Plusieurs entreprises et municipalités le font aussi. À elles, j’aurais bien aimé leur demander : « Pourquoi vous faites ça ? Pourquoi encourager une entreprise étrangère et l’envol de nos dollars on ne sait où plutôt que d’en faire bénéficier des commerçants locaux ? C’est votre devoir moral ! »
C’est aux alentours de 2013 que, pour la première fois, des entreprises au Québec, à Sherbrooke, ont célébré le Black Friday. Bien que la plupart l’aient renommé plus ou moins subtilement « Vendredi fou », il n’empêche pas moins que cette pratique commerciale est totalement injustifiée.
Aux États-Unis, le Black Friday est lié à leur Action de grâce, la fameuse Thanksgiving. Au Canada, pas du tout. Si les gens avaient vraiment le pays et la province à cœur, pourquoi suivre les dates du pays du sud? Ne serait-il pas plus normal de faire les ventes autour du 24 juin ou du 1er juillet ou encore de notre Action de grâce à nous?
La frénésie du Super Bowl
Le Super Bowl est une autre preuve flagrante de l’américanisation latente du Canada et du Québec. Jadis perçu comme un événement exclusivement américain, il s’est progressivement imposé dans notre paysage culturel. À ma sortie du secondaire, à la fin des années 2000, je ne connaissais qu’un seul enseignant qui le regardait religieusement chaque année.
Vers 2011 ou 2012, j’ai entendu Mario Dumont en parler abondamment lors de son émission à V Télé, témoignant ainsi d’un intérêt grandissant pour cet événement. Au même moment, je constatais un engouement similaire chez plusieurs jeunes couples de mon âge, alors au début de la vingtaine. Ce qui semblait autrefois un simple divertissement réservé aux amateurs de football devenait un véritable phénomène social.
Depuis, les commerçants et les restaurateurs ont suivi la tendance et se sont mis à en faire activement la promotion, proposant des soirées thématiques et des rabais pour attirer la clientèle. L’engouement pour le Super Bowl ne cesse de croître, au point où, socialement parlant, il semble presque plus populaire que la Coupe Stanley !
Pourtant, le football américain n’est pas le football canadien. Si le ballon ovale suscite tant d’engouement, le moment phare de l’année pour ses adeptes devrait logiquement être la Coupe Grey, et non le Super Bowl. Alors, comment expliquer que nous accordions une place de plus en plus grande à un sport qui n’est même pas ancré dans nos propres traditions ?
Notre champ lexical aussi victime
Tant d’autres preuves existent et confirment cette tendance à la « décanadianisation » et à la « déquébécisation » de notre société au profit de la culture de nos voisins du sud.
Les barbiers, si nombreux dans les années 1990, pratiquement disparus du paysage urbain, sont réapparus depuis un certain temps. Toutefois, la majorité met maintenant de l’avant une image moderne et s’identifie comme des Barber Shop, méprisant ainsi totalement la Charte québécoise de la langue française. Les enseignes « Open » sont aussi de plus en plus courantes à la différence de celles indiquant « Ouvert ».
La fin du nationalisme québécois se perçoit aussi jusque dans le choix des prénoms. Si les parents nés dans les années 1950 ou 1960 avaient une préférence pour les prénoms francophones, tels que Audrey, Catherine, David, Émilie, Sébastien ou Simon, cette tendance semble s’être effacée.
Beaucoup des nouvelles générations ont préféré renier leurs origines et opter pour des prénoms anglophones, essentiellement américains, tels que Brenda, Brittany, Charlie, Dylan ou Megan. Depuis le milieu des années 1990, les prénoms en anglais connaissent une tendance à la hausse qui ne cesse son ascension.
Quoi faire maintenant?
Toutes celles et ceux qui appellent à boycotter la nourriture, les entreprises ou les produits culturels américains devraient se regarder dans le miroir et faire un examen de conscience.
Qu’ont-elles ou qu’ont-ils fait depuis vingt ans pour contribuer à notre viabilité collective et à notre épanouissement culturel? Leur préférence est-elle allée à Amazon ou au déplacement pour acheter en ville? Avez-vous acheté davantage lors du Vendredi fou ou avez-vous ignoré cette fête étrangère de la consommation? Encouragez-vous les Barber Shop et les magasins qui affichent « Open »?
Vouloir se montrer indépendant, ce n’est pas qu’une affaire d’une journée. Pour faire des changements, il faut l’être tous les jours, continuellement.
C’est par notre manque d’indépendance que nous sommes devenus, davantage que le reste de l’Occident, des Américains, qu’on le veuille ou non. Il y avait, et il y a toujours des alternatives à s’américaniser, mais peu de gens semblent vouloir les choisir.
L’absence de devoir moral et la facilité sont les règles qui mènent le monde. Il ne faut donc pas s’étonner de la moquerie de Trump qui, lorsqu’on y regarde en profondeur, n’est pas entièrement dénuée de sens.
Source : Abdallahh-Wikimedia Commons