Sexualité spectacle : le sexe négligé par le monde culturel?

Editio-Julien_Beaulieu-WikipediaLe sexe est omniprésent dans l’espace public. Il est accrocheur et est devenu, avec le temps, un outil de marketing fort. Mais quelle est la place de la sexualité dans la production culturelle québécoise?

Par Julien Beaulieu

On parle abondamment de sexualité dans la vie de tous les jours. Et souvent, ça passe par l’humour. Cela se reflète nécessairement sur les productions en salle. Les humoristes tels que Mike Ward et Peter MacLeod consacrent religieusement plusieurs numéros de leurs spectacles au sexe. Mais est-ce que cette forme de discours a l’exclusivité du sujet?

Si la fréquence des ébats sexuels de chacun varie, il est vrai qu’il passe rarement une journée sans qu’on entende une blague à caractère sexuel. Il en était fait mention lors d’un précédent éditorial : selon certaines théories en psychologie, le rire correspond à la libération de tensions accumulées dans les différentes sphères de notre vie. Peut-être rions-nous plus facilement de sexe que d’autres choses, car celui-ci conserve une part de secrets et d’incertitudes. Toutefois, faut-il pour autant croire que la sexualité est un sujet dont il ne faut que rire? Qu’en est-il de l’approfondissement des sentiments humains et de la relation au corps?

S’il est vrai qu’on parle souvent de sexualité, la sexologue Jocelyne Robert émet certaines réserves : « Nous sommes plus que jamais obsédés par le sexe, mais pas plus sexuels. On passe 90% de notre temps de loisirs devant un écran. On infuse dans le spectacle sexuel : divertissement voyeur, masturbateur, exhibitionniste ». La conséquence, selon elle : «  (…) quand on y est, dans le « sexe pour de vrai », dans le sexe relationnel et tridimensionnel, le sexe-spectacle a été si bien gobé que le travail de sape est accompli… »

En chanson

Il pleut des chansons d’amour sur les radios commerciales. Mais n’y a-t-il que Ginette Reno pour nous demander de « faire la tendresse »? Certains artistes se lancent. C’est notamment le cas de David Giguère, dont le dernier disque contient une chanson intitulée « La pornographie ». Son dernier vidéo-clip, La Honte, montre l’artiste quittant en douce le lit de celle avec qui il semble avoir partagé la nuit. Il parle alors de « (…) danser sur des histoires qui ne durent qu’un soir pour être bien sûr d’exister. »

Giguère n’est pas le seul à mêler « amour » et « sexualité » dans ses chansons. En effet, Pierre Lapointe avec son album Punkt explore en profondeur le sujet. Il suffit d’écouter les chansons La sexualité, Nu devant moi et Nos joies répétitives pour s’en convaincre. Dans cette dernière, l’artiste décrit la relation complexe entre sexualité et amour : « On a appris à sourire comme des hommes bien élevés /Pour détourner l’attention de nos sexes souillés / Mais on a oublié de nous montrer comment faire / Pour trouver l’amour et lui prouver qu’on peut lui plaire. »

En entrevue au journal Métro, en 2013, Lapointe confiait : «En mettant mes chansons en relief, j’ai réalisé que je parlais beaucoup de sexe… et je trouvais ça assez drôle. Ça m’a semblé intéressant de traiter de sexe en chanson comme on le ferait au cinéma, en art contemporain ou au théâtre, où on le fait avec des mots assez crus et que ça passe. De son côté, la chanson est devenue un peu gentillette. C’est rendu mal vu de faire des choses qui brassent un peu.» Au Québec, il serait donc subversif de parler de sexe en chanson. Ou, du moins, si ladite chanson sort du registre humoristique.

Sexualité spectacle

La représentation artistique de la sexualité existe depuis toujours : « (…) les tous premiers dessins esquissés sur les murs des grottes par nos lointains ancêtres étaient de nature érotique » (Michel Dorais) Cela s’est poursuivi de l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, quelque chose semble avoir changé au cours des dernières années. Car, dans la culture de masse, on parle rarement de sentiments humains comme l’on parle de sexe. Dans le premier cas, l’objectif en est un d’expression et de communication, alors que dans le deuxième cas, c’est de séduire et de divertir. Selon Michel Dorais, « non seulement la sexualité est plus que jamais montée et montrée en spectacle mais elle se doit désormais d’être spectaculaire. » On n’introduit plus des références sexuelles afin de représenter la vie humaine; on le fait afin d’accrocher un public toujours à la recherche de nouvelles expériences.

Certes, la représentation artistique de la sexualité n’est pas uniforme. Dorais parle, par exemple, de la danse contemporaine et de l’érotisme transgressif. Il nomme les œuvres du Québécois Dave St-Pierre et du Belge Jan Fabre, qui mettent en scène masturbation et nudité. À titre d’exemple, Dave St-Pierre, en 2004, présentait la pièce La pornographie des âmes, véritable succès populaire et critique, dans laquelle il exposait sans gêne les rapports charnels et leur enchevêtrement aux ébats humains.

L’art du nu, la littérature érotique et autres productions artistiques faisant référence à la sexualité ont nécessairement leur valeur culturelle. La distinction à faire reste donc au niveau du traitement qui est fait du sujet, et surtout, au niveau de l’intention derrière la création. La sexualité, comme tous les autres aspects de la vie humaine, mérite sa place dans la production culturelle québécoise. Pas le sexe instrumentalisé pour séduire les masses.

 

 

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