Par Elizabeth Gagné

Le Théâtre de l’Insomnie a présenté la pièce d’Arthur Miller, Les Sorcières de Salem, en tant que 18e production. Lors de la représentation du 22 mars dernier, Le Collectif s’est entretenu avec Maxime Tardif, responsable des communications et membre du CA du Théâtre de l’Insomnie, ainsi qu’avec le metteur en scène, François Louis Laurin.
Pour les habitués du Théâtre de l’Insomnie et les fidèles qui suivent la troupe depuis ses débuts, cette édition a pu paraître différente des programmations antérieures.
Une thématique différente du répertoire
Depuis deux ans, le répertoire a quelque peu changé passant de la comédie au drame, comme l’explique Maxime Tardif. Avec Les Sorcières de Salem, le drame a été mélangé à l’horreur. Écrite en 1953, l’œuvre de Miller, traduite par René Gingras et mise en scène par François Louis Laurin, transporte le public en 1692. La petite ville de Salem au Massachusetts est gagnée par une crise d’hystérie puritaine, qui se conclut par la condamnation de nombreuses personnes soupçonnées de pratiques sataniques et par vingt-cinq exécutions. Un retour en arrière qui nous rappelle comment peut être franchie, à toute époque, la frontière entre raison et folie, justice et fanatisme.
On peut dire que la sorcellerie fascine encore de nos jours les esprits curieux. Le Théâtre de l’Insomnie a battu des records en vente de billets cette année. Bien que la thématique présageait une pièce sombre, plusieurs ont pu être surpris par les émotions de peur et de surprise ressenties lors de la prestation. « C’est bien ce qu’est l’art vivant », dit François Louis Laurin. « Ce que j’aime de l’art vivant, c’est le collectif, c’est la présence, le partage d’émotions dans la salle, le ressenti des tensions par les comédiens et les spectateurs. Ça nous rappelle qu’on est humain qu’on est capable de s’identifier à une personne en chair et en os qui est devant nous, ça raisonne. » La peur et la tension, ce sont bien-là des sentiments qui sont plutôt rares à partager en communauté et qui nous font vivre une expérience unique.
Une pièce imprévue
Cette année, la tâche a été ardue pour l’équipe de l’Insomnie. Dès les débuts, des complications ont eu lieu. François Louis Laurin raconte qu’à la base, la troupe était censée jouer une autre pièce qui a également été traduite de l’anglais en français, mais les droits de production ont refusé de donner le feu vert empêchant la production de cette dernière. L’équipe a dû trouver une solution assez rapidement étant donné que les dates avaient déjà été publiées.
C’est donc le metteur en scène qui a proposé Les Sorcières de Salem, idée qu’il avait déjà soumise dans le passé pour le Théâtre du Double Signe, mais qui n’avait jamais pris forme jusqu’à maintenant. À la première lecture, il a confié qu’il trouvait la pièce assez intimidante vu les nombreux pièges possibles. « Je ne pense pas qu’en 2025, on peut raconter une histoire de chasse aux sorcières sans avoir un regard féministe, mais ce n’est pas du tout l’angle avec lequel l’auteur a écrit la pièce à la base. »
Arthur Miller voulait parler des extrémistes politiques puisqu’à son époque on faisait la chasse aux communistes. Mais, à l’heure actuelle où la diffamation est une arme politique et la désinformation est vue comme un fait, la pièce nous rappelle les conséquences désastreuses lorsque des personnes aux pouvoirs ne sont pas capables d’admettre leurs tords.
Le Théâtre de l’Insomnie
Maxime Tardif, qui n’aime pas employer le terme « théâtre amateur » à cause de l’aura péjoratif qu’il renvoie, utilise plus tôt le terme de « non professionnel » pour désigner le Théâtre de l’Insomnie. Fondé il y a de cela 19 ans, aucun des membres de la compagnie ne fait ce métier à temps plein, précise-t-il.
En fait, outre le metteur en scène, aucun des membres de l’équipe n’est rémunéré. C’est avant tout une passion commune qui nourrit le Théâtre de l’Insomnie qui est 100 % estrien. La compagnie donne également l’occasion à des gens qui ont énormément de talent, mais qui ne font pas de théâtre professionnel, de faire ce qu’ils aiment. Outre le noyau de la compagnie qui représente cinq cœurs, le Théâtre de l’Insomnie auditionne chaque année afin de combler les rôles que la pièce nécessite.
« Presque tous nos comédiens proviennent des ateliers de théâtre du Double Signe », explique Maxime Tardif. « Dans ce genre de théâtre non professionnel, on fait tout de A à Z. Ça demande un engagement de tout le monde pour venir à bout de la pièce. »
Pour lui, la culture devrait, au Québec, être une priorité au même titre que l’éducation et la santé. « Les trois sont intimement liées. La culture passe aussi par l’éducation et à travers les classes. Les gens ont besoin de culture, ce n’est pas seulement une question d’identité nationale, c’est une question de bien-être. La culture contribue au bonheur des gens et ça peut aussi revendiquer des messages et des situations. »
L’année prochaine, le Théâtre de l’Insomnie célébrera ces vingt ans d’existence. « Ce sera l’occasion de faire un spectacle de grande envergure », confie M. Tardif. La prochaine année promet donc d’être mémorable.
Crédit : Marie Lagueux

Elizabeth Gagné
Étudiante à la maîtrise en histoire, Elizabeth a toujours été passionnée par les arts et la culture. Travaillant de pair avec ses collègues depuis 2022 à promouvoir le programme des Passeurs culturels à la faculté d’éducation, elle travaille également depuis un an au Centre culturel de l’Université de Sherbrooke. Intriguée par tout ce qui nous rend profondément humains, elle souhaite élargir et approfondir le sens de la culture en proposant des articles parfois hors normes.