Les enfants du large 

Par Elizabeth Gagné 

Photo prise lors du tournage en mer du film Les enfants du large.  

Après la sortie de son livre autobiographique, Virginia Tangvald dévoile son long métrage Les enfants du large qui sortira le 9 mai. Vendu à plus de 8 000 exemplaires cet automne au Québec, le film est la suite du livre qui porte le même nom. Connue du public québécois pour sa carrière musicale, Virginia s’est lancée dans une nouvelle épopée en tant qu’écrivaine et maintenant réalisatrice. Ce changement de cap provient d’une quête personnelle qui hante la jeune femme depuis toujours. Loin d’être un long fleuve tranquille, la vie de Virginia débute en mer. 

Née sur la mer des Antilles, Virginia Tangvald passe les premières années de sa vie sur le magnifique voilier construit par son père, le navigateur Peter Tangvald, avant de fuir dans les bras de sa mère vers le Canada. Son père disparaît en mer alors qu’elle était encore bambin dans des circonstances mystérieuses. Une décennie plus tard, en 2014, c’est au tour de son frère Thomas de subir le même sort. Telle une malédiction, Virginia Tangvald a vécu la majorité de sa vie à flotter entre le monde des morts et le monde des vivants. Hantée par des questions sans réponses, le présent documentaire nous plonge dans une enquête familiale exposant de sombres secrets. Tout d’un coup, la figure héroïque du paternel qui est presque inscrit dans la mémoire telle une légende s’assombrit. 

Quand la mort te suit 

La réalisatrice remet en question la quête de liberté que son père a toujours priorisée avant tout. La liberté oui, mais à quel prix ? Pour Virginia, il n’y avait plus aucun sens à poursuivre ce fantasme au prix de la solitude et de la mort. Car l’histoire de ses racines et surtout celle de son frère et de sa sœur se résulte dans les abysses de l’océan. À travers ce documentaire, de nombreuses rencontres ont lieu avec des fantômes du passé. À mesure que l’enquête avance on y voit une blessure de plus en plus profonde s’ouvrir. Il n’est jamais facile de revisiter les fantômes de son passé, mais lorsqu’on découvre que ces fantômes sont en réalité de sombres personnages, la douleur ne peut être que renforcée. 

Bien que le long métrage ne sorte que cette année, les toutes premières images ont été prises en 2017. Seule avec sa caméra, Virginia Tangvald a pu capter en images les échanges entre elle et Yvon Le Corre, un célèbre poète navigateur français que son père a connu. Malheureusement, ce sont les seules images qu’elle a de lui puisqu’il est mort en tombant d’une échelle en 2020, révèle Virginia. Puis durant un certain temps, Virginia avoue qu’elle a repoussé le projet, car à ses yeux, il n’était pas encore prêt ou tout simplement parce qu’à ce moment-là le projet était devenu pénible à réaliser. Ensuite, la pandémie a mis sur pause le projet pour encore un autre deux ans, explique la réalisatrice. « Presque toutes les images ont été tournées à l’international et donc durant la pandémie c’était tout simplement impossible à faire. » 

Deux processus différents 

Pour ce qui est du livre et du film, Virginia raconte qu’il s’agissait de processus très différents. « Pour le film, j’ai vraiment pu faire énormément de recherches. J’avais beaucoup de temps et de réflexion. J’ai vraiment structuré comme un film de fiction classique avec trois actes. Faire cet exercice de scénarisation, ça m’a vraiment fait plonger dans comprendre ce qui était vraiment en jeu dans l’histoire. Qui était mon père, qu’elles étaient ses failles, les forces antagonistes pour mon père, mon frère et moi. C’était de comprendre ça en profondeur, c’était un processus assez long. Après j’ai écrit le livre très rapidement et j’avais déjà tout ce travail de réflexion qui avait été fait en amont. Et là c’était très libre. Écrire le livre, j’ai pu dire des choses plus intimes plus personnelles. Parce que dans le cinéma, il faut montrer des images. Oui, il y a un peu de narration, mais pas beaucoup et le livre ça me permettait de vraiment dire explicitement ce qui me passait en tête, c’était quoi ma pensée par rapport à tout ça. » 

Selon Virginia Tangvald, ni le film, ni le livre lui parut si difficile à faire alors que son mari lui a rappelé que, durant cette période, elle pleurait tout le temps, elle perdait énormément de cheveux et elle crachait du sang, alors qu’aujourd’hui elle en garde un souvenir assez normal. 

Sur la voie de la guérison 

Aujourd’hui, Mme Tangvald est dans une tout autre phase de sa vie. À l’aube de la sortie du film, elle confie que parler de son histoire fait vraiment partie du processus de guérison. Selon elle, on ne construit pas juste notre histoire, on est notre histoire. 

« J’avais l’impression de venir d’une histoire qui m’échappait, donc d’être moi-même dans une errance perpétuelle. Je n’étais pas tout à fait là parce que je n’avais rien pour me construire ou pour m’ancrer et aussi je ne savais pas ce qu’il s’était passé. Maintenant, à plein d’égards, je ne sais toujours pas ce qu’il s’est passé, mais j’ai tellement plus d’indices, tellement plus d’éléments pour comprendre. Je ne sais toujours pas si mon père a assassiné ses femmes ou pas. J’ai plein d’éléments à charge, mais une preuve ultime qui me donne une certitude absolue, non. Mais j’ai pu voir comment mon père réfléchissait, j’ai pu voir ce à quoi il accordait de l’importance, ce à quoi il n’en accordait pas. Donc ça m’a vraiment permis de comprendre comment s’en est arrivé là. Mettre mes propres mots dessus ça m’a permis de reprendre ce sentiment de pouvoir sur ce récit, par ce que j’avais l’impression que j’avais une histoire dans moi qui agissait sur moi et qui me dépassait. Maintenant, j’ai l’impression que c’est moi qui détiens cette histoire. » 

Virginia Tangvald est devenue maman durant la pandémie. On peut voir son fils Orphée à la fin du film admirer une maman canard et ses bébés sur l’eau. On entend le petit dire « on est bien collés ». Une conclusion parfaite, dit Virginia, « parce qu’après avoir compris ce qui nous a amené là, maintenant on choisit la vie, on choisit l’amour, d’être ensemble, d’être collés plutôt qu’une course effrénée pour des quêtes de liberté absolue qui ont plus de sens ». 


Source : Facebook Office nationale du Film

Elizabeth Gagné
Cheffe de pupitre CULTURE  culture.lecollectif@usherbrooke.ca   More Posts

Étudiante à la maîtrise en histoire, Elizabeth a toujours été passionnée par les arts et la culture. Travaillant de pair avec ses collègues depuis 2022 à promouvoir le programme des Passeurs culturels à la faculté d’éducation, elle travaille également depuis un an au Centre culturel de l’Université de Sherbrooke. Intriguée par tout ce qui nous rend profondément humains, elle souhaite élargir et approfondir le sens de la culture en proposant des articles parfois hors normes.  

Scroll to Top