À une époque où un membre de la communauté LGBT possède au Québec les mêmes droits que toutes autres personnes, est-ce que les manifestations publiques, comme le défilé de la fierté gaie, conservent leur importance, leur utilité ? Est-il possible, au contraire, que ces démonstrations soient nuisibles dans la mesure où elles célèbrent justement une différence? Inutile d’aller directement à la fin du texte pour trouver la réponse à ces questions. Cet article se veut plutôt une tentative de dresser un portrait d’ensemble sur la situation actuelle, appuyé par des témoignages et des faits historiques marquants pour la communauté LGBT.
par Karyn Brown
La bataille se met en branle
Le premier défilé pour la revendication des droits des homosexuels s’est tenu à New York en réponse aux descentes policières se multipliant au Stonewall Inn, un établissement prisé par une portion, à l’époque, très marginalisée de la communauté gaie : transgenres, travestis, prostitués, etc. Dans les faits, ce défilé s’est tenu dans un mouvement de commémoration des émeutes survenues à la suite du raid policier dans la nuit du 28 juin 1969. Il ne faudrait pas oublier qu’il s’agit d’une époque où les hommes et les femmes homosexuels pouvaient se faire arrêter pour « grossière indécence », nous dit Louise Bienvenue, professeure titulaire en histoire à l’Université de Sherbrooke. C’est à la suite de ces émeutes que le 28 juin de l’année suivante, le premier défilé fut tenu. Or, c’est plutôt dans les années 80 et 90 qu’un mouvement plus organisé et intensifié se créer « pour faire émerger publiquement les réalités sexuelles et identitaires gaies et lesbiennes », explique Mme Bienvenue.
Une marche vers l’égalité juridique
À Montréal, c’est en 1993 qu’on assistera au premier défilé de revendications à l’égalité de la communauté LGBT, cette dénomination étant utilisée qu’à partir des années 90. Plusieurs voix s’unissent alors qu’on peut assister à plusieurs changements significatifs au niveau juridique. C’est ainsi qu’en 1996, l’orientation sexuelle devient un motif de distinction illicite à travers la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le Parlement déclare du même coup que les gais et les lesbiennes ont droit « à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins » (article 2). En 2002, les couples de même sexe jouissent d’une reconnaissance parentale et peuvent maintenant s’unir civilement au Québec, le droit au mariage civil n’étant accordé qu’en 2004.
Et l’égalité sociale, elle?
Alors que l’égalité juridique est sensiblement acquise au Québec, les défilés gardent-ils leur utilité d’autrefois? La vice-présidente aux communications et secrétaire de l’Association pour la diversité sexuelle et de genre de l’Université de Sherbrooke (AGLEBUS), Nancy Tétreault, explique que malgré une égalité juridique acquise au Québec, l’égalité sociale est loin d’être atteinte. Elle ajoute à l’appui que plusieurs personnes ne mentionnent pas dans leur curriculum vitae leur engagement dans des organismes aidant la communauté LGBT de peur d’être discriminées. Elle fait aussi référence aux athlètes olympiques qui, parfois, préfèrent taire leur identité sexuelle, inquiets de perdre leur sélection et leurs commandites.
À son avis, les manifestations comme le défilé de la fierté LGBT sont une célébration de la différence et de l’acceptation de cette différence. C’est aussi une opportunité pour les organismes d’aide à la communauté LGBT de recruter des bénévoles et de se faire connaitre du grand public. Elle ajoute au passage que les défilés se veulent aussi un encouragement et un appui aux communautés internationales, qui ne bénéficient pas toujours des mêmes droits et qui vivent la répression en raison de leur orientation sexuelle. La communauté profite ainsi de cette tribune pour dire à ces gens que le Québec pense à eux.
Oui, mais …
À l’opposé, plusieurs membres de la communauté LGBT ne tiennent pas à participer à ce type de défilés puisqu’ils ne veulent pas se définir que par leur identité sexuelle. Charles (nom fictif), ouvertement gai depuis plusieurs années, reconnait sans hésitation que ces manifestations ont aidé la communauté dans la revendication des droits qui lui revient. Cependant, il ne veut pas célébrer sa « différence », car il ne se considère pas à l’écart de la société. À ses yeux, être homosexuel n’est qu’un adjectif le décrivant parmi tant d’autres.
À cet effet, Nancy Tétreault de l’AGLEBUS (précitée) explique qu’il est normal que certaines personnes soient de cet avis et qu’elles ne ressentent pas le besoin de s’impliquer. Elle fait entre autres une analogie avec certains Québécois, qui malgré leur fierté d’appartenance, ne participent pas aux festivités de la Saint-Jean-Baptiste.
Une grande victoire
Finalement, bien que la pertinence de ces événements soit remise en question par certains et louangée par d’autres, un point reste clair et unanime : le simple fait qu’on puisse se questionner sur la place des défilés de la fierté gaie montre l’ampleur des progrès permis par les revendications historiques pour l’atteinte de l’égalité juridique et sociale de la communauté LGBT.