Comment penser à « l’illégalité » sans penser à la société qui la normalise, l’encadre et, si on ose, la crée? Du moins, c’est ce que nous invite à penser le philosophe Michel Foucault dans son livre posthume La société punitive (Cours au Collège de France, 1972-1973), qui est sorti en 2014, année qui soulignait le 30e anniversaire de la mort de l’homme le plus cité au monde dans le domaine des sciences humaines.
Foucault nous invite à faire l’histoire des tactiques fines de la sanction. Il y étudie comment les sociétés traitent les individus ou groupes dont elles souhaitent se débarrasser. Il démontre que, depuis l’âge classique, il existe quatre formes de « tactiques punitives » : exiler, organiser une compensation, marquer le corps ou enfermer. Pour l’auteur, nous sommes présentement dans une société qui utilise la tactique punitive de l’enfermement. Or, pour Foucault, il y a un lien direct entre le type de punition et le type de société.
Pour mettre en perspective, la détention et l’emprisonnement ne sont pas arrivés avec les grandes réformes qui se sont échelonnées entre 1780 et 1820. Certains auteurs ont cru que le changement de forme dans la pénalité était alors lié à une nouvelle perception de la morale. Or, Michel Foucault croit que cela est davantage lié à une nouvelle perception du corps et de la matérialité.
Eh oui! Maintenant, on ne veut plus marquer le corps, mais le redresser. La « forme-prison » de la pénalité correspond à la « forme-salaire » où, dans les deux cas, on punit en prenant du… temps! Dans une société qui a besoin des corps pour produire économiquement, la meilleure manière de punir est de prendre le temps du criminel. Il y a aussi un lien important fait par l’auteur entre ce rapport au corps, la naissance de l’importance de la médecine et la pratique pénale, car la peine vise à redresser le corps, ce qui équivaut à « guérir » à ses yeux.
Cela permet à Foucault de réintroduire l’idée de pouvoir qui est, à mon sens, au centre de son œuvre. En réintroduisant cette idée, on passe d’une histoire des corps à une histoire des rapports entre le pouvoir politique et les corps. Cela nous ramène à notre thème de l’illégalité.
Michel Foucault tire de toute cette histoire une conclusion téméraire, surprenante et pourtant fort intéressante. En effet, il dit que la délinquance, qu’il définit comme le « système couplé pénalité-délinquant », joue un rôle important dans nos sociétés. Il dit simplement que l’institution pénale ne corrige pas les délinquants, la preuve est qu’elle rappelle à elle une forte proportion d’individus, les récidivistes. En fait, l’institution fabrique cette catégorie d’individus pour Foucault. C’est cette population marginalisée qui nous permet de mettre l’accent sur des irrégularités qu’on ne peut pas tolérer dans nos sociétés. En bref, la prison est là pour créer de la délinquance qui permet de justifier un système où on exerce un pouvoir constant sur les corps.
Ce livre, que je ne conseille pas à une personne qui voudrait découvrir le continent Foucault, a été ma plus grande joie de lecture en 2014. Un livre délicieux qui est, à mes yeux, la genèse de Surveiller et punir, paru en 1975 et qui est, peut-être, son livre le plus connu. On y retrouve aussi la suite logique de son Histoire de la folie à l’âge classique. Comme il s’agit d’un cours retranscrit, on y retrouve le rythme de l’oralité foucaldienne qui est pratiquement aussi galante dans la forme que complexe dans le sens. Un livre à lire par tous ceux qui se demandent si l’illégalité n’est pas autant une déviance qu’un besoin de notre société.
Michel Foucault
La Société punitive; Cours au Collège de France. 1972-1973.
EHESS, Gallimard, Seuil