Par Elizabeth Gagné

Le mois de février est officiellement reconnu comme le Mois de l’histoire des Noirs. À Sherbrooke, comme ailleurs en Amérique, plusieurs activités culturelles ont lieu afin de faire connaître et partager l’histoire des diverses communautés noires qui forment notre société.
Une personne d’exception de la communauté noire de Sherbrooke se démarque parmi les autres pour avoir, en 1995, initié la Ville de Sherbrooke au Mois de l’histoire des Noirs. Les premières activités entourant l’histoire des Noirs au Québec ont été organisées par la Commission des droits de la personne du Québec en 1992 à Montréal. À Sherbrooke, c’est Gérard Pierre Ti-I-Taming qui en est l’instigateur.
C’est dans une série d’entrevues, réalisée par la professeure Stéphanie Lanthier dans le cadre du projet Histoire, voix et mémoire des personnes aînées afrodescendantes de l’Estrie, que la rencontre avec M. Ti-I-Taming a eu lieu. Personne d’exception très impliquée dans la communauté estrienne, nous partageons son parcours de vie exceptionnel et ses nombreuses réalisations qui ont forgé le Sherbrooke d’aujourd’hui.
Une vie inspirée par des légendes
Originaire de la Martinique, Gérard Pierre Ti-I-Taming arrive au Canada en 1962 dans un orchestre avant de migrer vers les États-Unis pour aller étudier en science politique. Les années 1960 étaient une période très névralgique pour les Afro-Américains. Elle est marquée par la ségrégation et les luttes pour les droits civiques. Durant son séjour aux États-Unis, Gérard Pierre Ti-I-Taming a étudié à l’Université de Chicago où il séjournait chez l’attaché culturel de France.
Il a fait l’expérience de la ségrégation alors qu’il s’aventurait sur une plage interdite aux « Noirs ». Cet épisode l’a profondément marqué, raconte-t-il. Alors qu’il était allongé sur sa serviette, deux policiers sont arrivés, fusil à la main, lui demandant ce qu’il faisait là, qu’il ne pouvait pas être ici, que c’était interdit, etc. Ils ont amené M. Ti-I-Taming, « sans brutalité », précise-t-il. « Ils m’ont dit ‘‘je t’emmène parce qu’ils pourraient te lyncher. L’année dernière, ils en ont tué un’’. » Sans demander aucun papier, les policiers ont simplement ramené Gérard Pierre à son domicile, sans contravention, sans rien. Après cet épisode, M. Ti-I-Taming a confié qu’il s’était un peu calmé, car il avait l’habitude de tester les zones « interdites aux Noirs » comme une sorte de laboratoire d’analyse comportementale.
Durant son séjour, Gérard Pierre s’était habitué à aller écouter des conférences données par de grands leaders telles que Malcom X et Martin Luther King. Il a même participé à la marche pour les droits civiques à Washington, organisée par Martin Luther King en 1963.
En 1965-66, Gérard Pierre Ti-I-Taming est retourné en Martinique. Durant son adolescence, il a côtoyé nul autre qu’Aimé Césaire. En allant à l’école, les matins, Aimé Césaire lui envoyait la main du balcon de la mairie. Durant le 10e anniversaire de la Martinique, Césaire se présenta à la mairie et la mère adoptive de Gérard Pierre l’avait amené pour écouter son discours. Il avait été très impressionné par la présence qu’imposait Césaire devant la foule qui s’était tue quasi instantanément pour l’écouter parler. « Wow, j’ai dit ‘‘comment quelqu’un peut-il imposer le silence aux autres sans avoir rien dit ?’’ ». M. Ti-I-Taming a décrit Aimé Césaire comme « un homme merveilleux, fantastique et terrible. »
Une seconde vie à Sherbrooke
De retour en Martinique, Gérard Pierre décroche un emploi à l’aéroport international où il est devenu chef d’escale. Mais Gérard Pierre a toujours su qu’il allait repartir. C’est en 1967, l’année de l’exposition universelle, qu’il revient à Montréal. Quelqu’un lui avait parlé de l’Expo 67 et il avait l’intention de s’y rendre. Il s’est donc empressé de monter un orchestre et a obtenu un contrat. Après l’Expo 67, Gérard Pierre Ti-I-Taming a décidé de rester au Québec.
Il s’est marié avec sa première épouse en 1970 et, à la suite de plusieurs démarches, il a obtenu sa citoyenneté canadienne en 1972. Dans le temps, la famille de son épouse résidait à Sherbrooke. Ils sont donc venus en Estrie pour les retrouver. À Sherbrooke, Gérard Pierre a fondé une compagnie de construction. Une dizaine d’années plus tard, sa femme est partie avec leur fille, après plus de 17 ans de mariage. Après coup, Gérard Pierre a voulu aider les autres. Il est donc entré dans le monde communautaire, plus spécifiquement auprès des immigrants.
Un jour, il a reçu un coup de fil de Monique Gagnon-Tremblay, alors qu’elle était conseillère municipale, lui demandant de l’aider à animer un colloque portant sur les immigrants en région. Durant le colloque qui se déroulait au centre d’orientation et de formation des immigrants, M. Ti-I-Taming a rencontré le directeur du centre qui lui a proposé de venir donner des cours de francisation. Petit à petit, Gérard Pierre a monté une équipe et a créé un organisme pour « l’intégration, la francisation, la rencontre interculturelle ainsi que la lutte contre le racisme et la discrimination ».
Ensuite, Gérard Pierre se lance dans un autre projet. Vers 1988, il animait une émission de télé intitulée Visage de l’Estrie où il recevait plusieurs immigrants et immigrantes afin d’en apprendre plus sur leurs récits de vie, leur parcours, etc. Puis, il a animé une émission sur les mariages « mixtes ».
M. Ti-I-Taming avait également décidé de se mettre à l’écriture ce qui a donné naissance à plusieurs livres. En 1998, Gérard Pierre s’est présenté devant le maire de Fleurimont avec un projet : celui de faire un festival d’immigrants. C’est ainsi que le premier Festival des traditions du monde a vu le jour. Cet article ne peut faire mention de tout ce qu’a accompli Gérard Pierre Ti-I-Taming pour Sherbrooke et l’Estrie. Au cours de sa vie, plusieurs distinctions de l’Assemblée nationale et du Gouvernement du Québec lui ont été décernées pour souligner son implication et son impact dans la société.
Écrivain, poète, compositeur, activiste, chanteur et plus encore, Gérard Pierre Ti-I-Taming est un réel facilitateur interculturel sherbrookois.

Elizabeth Gagné
Étudiante à la maîtrise en histoire, Elizabeth a toujours été passionnée par les arts et la culture. Travaillant de pair avec ses collègues depuis 2022 à promouvoir le programme des Passeurs culturels à la faculté d’éducation, elle travaille également depuis un an au Centre culturel de l’Université de Sherbrooke. Intriguée par tout ce qui nous rend profondément humains, elle souhaite élargir et approfondir le sens de la culture en proposant des articles parfois hors normes.