Pour faire monde : arpenter d’autres univers
Par Pascal Rodio, responsable Librairie, Campus UDS de Longueuil
Pour ce qui est de la fiction, je ne suis pas un lecteur sérieux.
Les histoires qui m’accrochent ne traitent que rarement du vrai monde, cynique, violent. Tragique. C’est d’ailleurs moins parce que le réel m’effraie que parce qu’il m’ennuie. Comment peut-il servir d’écrin à des histoires qui en valent encore la peine? Ce qui est historique est révolu. Ce qui est actuel semble vain. Quels mythes nous restent-ils dans un monde sans horizon?
Ceux qu’on s’offre, j’imagine !
Les littératures de l’imaginaire ont ce rôle pour moi : rendre palpable (donc malléable) le monde réel par le pouvoir de la métaphore. Créer du mythe, en gros.
Le procédé : tisser à partir du faux, du fantasme ou de l’incertain, des forces vives. Vous savez, ces forces capables de nous faire déplacer une montagne, caresser une fleur, aimer l’autre, rester en vie, lutter à mort et tendre la main.
Je vois ces histoires comme des fenêtres. Elles nous donnent envie d’aller voir dehors. On revient chez soi, gorgés d’horizons enviables. Prêts à faire monde. Autrement.
Voici donc un rapide tour de quelques horizons à (s’)offrir:
Pour raviver l’enfance
Il me semble que dans ses albums, Claude Ponti célèbre l’enfance comme on peint sa muse : autant de fois que nécessaire. Pour peindre l’enfance, il ne faut pas moins de mille-milliers de détails et de poussins jaunes, quelques autres centaines de personnages colorés aux motivations folles et floues ainsi qu’une bonne dose de péripéties sans queue ni tête avec des pieds. À lire à vos petits (et secrètement à vous-même).
Mes albums préférés : Mouha, Ma Vallée et Blaise, Isée et le Tue-Planète.
Pour grandir entre les mondes
Lâchez votre relecture annuelle d’Harry Potter. Pullman a tué la game avant Rowling.
À la Croisée des Mondes est une simple merveille. Dans cette trilogie, nous suivons Lyra, douze ans, qui, dans sa quête pour retrouver son meilleur ami dans Les Royaumes du Nord, sera amenée à découvrir les grands secrets qui maillent l’univers. Ni plus, ni moins. Une saga incontournable.
Pour cultiver sa sidérophobie
Si dans sa trilogie du Problème à Trois Corps Liu Cixin nous offre des personnages peu mémorables, le reste de son univers n’en est pas moins époustouflant. Je tire mon chapeau. On touche ici à de la science-fiction de très (très) haute volée. La preuve en est : les cieux ne m’ont jamais paru aussi peuplés.
Pour vivre une sublime épopée
Leçon de worldbuilding : (1) Un univers d’une grande originalité accouche (2) d’un récit puissant (3) mêlant les trajectoires tragiques de personnages sensibles (4) le tout orchestré par la plume sincère et audacieuse de N.K. Jemisin. La trilogie de La Terre Fracturée n’usurpe aucun de ses trois prix Hugo (trois!). C’est là un monument dont le souvenir me fera toujours chaud au cœur.
Pour tremper un orteil et voir si on aime ça
Pas encore sûr d’être porté sur l’imaginaire ? Voguez donc avec Dominique Scali. Direction l’Île d’Ys!
Les Marins ne Savent pas Nager (Prix des libraires du Québec 2023) se lit comme un roman historique : on y découvre comment le destin de Danaé Poussin, orpheline du rivage, va faire basculer la grande histoire de son île. Pas de magie, promis, que du vrai de vrai.
Ou presque : l’île d’Ys n’a jamais existé !
Ainsi c’est moins une histoire qu’un monde qui nous est raconté. Dans ce dernier, villes et espoirs, veuves et destinées grandioses naissent d’abord des naufrages. Toutes et tous sur l’île se savent appartenir à jamais aux eaux terribles qui les bordent.
Et si la magie était simplement fille de poésie?
L’ensemble des titres mentionnés dans la chronique sont disponibles à la Coopérative : en magasin, sur les deux campus, ou en ligne : usherbrooke.coop.