Par Félix Morin
On le sait, il est difficile d’être fidèle. D’une part, la fidélité à des idées démontre que nous défendons des valeurs. Or, être trop fidèle, c’est aussi être dogmatique. Comment tenir les deux bouts? Loin de prescrire une solution, le philosophe Abdennour Bidar, dans son court livre Lettre ouverte au monde musulman, pose LA question au lendemain des attentats de janvier 2015 : Pourquoi ce monstre ignoble a-t-il choisi ton visage et pas un autre?
En quoi un tel livre est une preuve de fidélité? La question est bonne parce que lorsque le thème m’a été proposé, ce livre m’est venu spontanément à l’esprit sans que je puisse explicitement expliquer mon raisonnement. Or, dans ce petit livre, Abdenour Bidar nous rappelle que lui aussi doit passer le pont entre des rivages qui semblent vouloir s’éloigner de plus en plus l’un de l’autre. D’une part, il se nourrit du soufisme et de l’autre, de la philosophie occidentale. De plus, il ose, en Occident, se battre pour que la « sagesse de l’Islam ne soit pas oubliée ni méprisée » tout en critiquant le mouvement Not in my Name parce qu’il excuse l’Islam plus qu’il le remet en question.
Difficile fidélité parce qu’il sait très bien que, pour certains, cela fait de lui un hérétique. Or, il ne s’agit pas ici d’une fidélité infidèle, mais bien, comme il le dit si justement, d’une fidélité critique. En effet, il critique ouvertement l’individualisme qui plane en Occident qui tend à oublier que les individus ne sont rien sans la communauté qui les accueille et les protège. Par contre, de l’autre côté, il questionne aussi un Islam qui, refermé sur lui-même, exclut de la Oumma tous ceux qui ne croient pas aux dogmes et lois de l’Islam, alors que pour lui, la Oumma devrait être l’humanité au grand complet. En effet, il est difficile de rester fidèle à une première tradition qui te considère comme un infidèle et une autre tradition qui te regarde avec la méfiance dont seuls les ignorants connaissent le secret.
Et en quoi ce livre est-il une leçon de fidélité? Restez probe et fidèle, ce n’est pas être dogmatique. On est fidèle à des valeurs et des intuitions, mais ce philosophe nous rappelle que toute fidélité doit s’accompagner d’un examen critique constant et d’une capacité à voir le pire dans ce que nous sommes ou inventons. Edgar Morin est resté fidèle à ses idées de jeunesse et tire une grande partie de ses idées du socialisme et du communisme, mais il ne défendait pas les camps pour autant. Être fidèle, c’est aimer assez une idée ou une valeur pour être son plus ardent critique et défenseur. En ce sens, Abdennour Bidar est un exemple à suivre. Un excellent petit livre qui est, et de loin, le plus beau cadeau que je me suis fait depuis le début de la semaine de relâche.