Par Pascale Carrier
Dans le cadre de la programmation 2018-2019 des activités du groupe universitaire d’Amnistie internationale, se tenait, le 6 novembre dernier, une conférence concernant la crise des réfugiés. M. Jonathan Kuntz, chargé de cours à l’École de politique appliquée, a partagé ses connaissances et son expérience concernant l’aspect historique et légal de la crise que vivent des millions d’êtres humains partout dans le monde.
L’effet pervers des statistiques
La conférence a débuté sous un angle qui visait à nous faire réfléchir : « Quelle est l’influence du bombardement de statistiques macabres faite par les journalistes dans les médias ? » a demandé le conférencier. Après avoir fait la lecture des grands titres des journaux, on a bien vu que les nombres sont utilisés afin de créer un effet de sensationnalisme dans les médias. Toutefois, il faut être conscient du côté déshumanisant des chiffres. La ligne est mince entre une tragédie et une statistique…
Il ne faut pas perdre de vue que derrière ces nombres, fréquemment trop élevés pour nous permettre de réellement saisir leur portée, se trouvent des êtres humains.
Le problème : les frontières
M. Kuntz a expliqué la raison de l’existence même des réfugiés. Ceux-ci existent en raison de la présence de frontières. Les lois créent une fiction que nous appelons « nationalité ». En effet, nous sommes liés au pays dans lequel on vit. Nous possédons des papiers officiels qui nous permettent d’avoir le titre de citoyen ou de résident. Ce titre nous permet de vivre sur un territoire donné, d’y travailler et de profiter des services offerts par l’État qui le contrôle.
La souveraineté des États sur leur territoire leur permet d’avoir des pouvoirs sur leur population, par exemple le droit de percevoir des impôts auprès des travailleurs. L’État peut également contrôler qui peut traverser ses frontières.
Ce concept engendre des problèmes lorsque des circonstances exceptionnelles occasionnent le départ de citoyens vers un autre pays. Les causes les plus fréquentes sont la guerre, les persécutions envers certains groupes pour des raisons religieuses, raciales ou d’orientation sexuelle, mais également en raison de crises économiques, de famine et d’inondations.
Autrefois, les guerres ont créé de nombreux problèmes reliés à la nationalité. Parmi les prisonniers de guerre, plusieurs n’avaient pas de statut officiel. L’État qui les retenait ne désirait pas les garder. Leur pays d’origine n’avait également pas ou avait peu de preuves de leur citoyenneté. Il était alors très difficile de retourner dans son pays d’origine. De plus, les villes qui se remettaient tout juste des ravages de la guerre ne voulaient pas accepter d’étrangers, même si ceux-ci ne désiraient que traverser leurs frontières.
Des révolutionnaires de l’époque ont alors créé un passeport reconnu par les États afin de permettre les déplacements, de frontières en frontières, des prisonniers pour leur permettre de retrouver leur patrie.
Le fait que les critères d’acceptation et de reconnaissance du titre de réfugié soient un pouvoir accordé aux États peut entraîner plusieurs problèmes pour les réfugiés.
Recherche de refuge
Parmi les centaines de millions de réfugiés dans le monde, un grand nombre n’a pas encore trouvé le refuge désiré. Plusieurs phénomènes peuvent expliquer ceci.
Tout d’abord, la définition de réfugié dans certains pays n’inclut pas toutes les raisons qui peuvent mener à l’exil. Parmi celles-ci, les crises économiques sont souvent oubliées ou volontairement rejetées par les autorités.
De plus, les raisons climatiques ne sont pas officiellement reconnues comme permettant d’obtenir le titre de réfugié. Pourtant, tout porte à croire qu’avec les changements climatiques, de plus en plus de populations seront forcées de quitter leur territoire. Les pays composés d’îles sont les plus visés. Au Bangladesh par exemple, plusieurs terres ont totalement été submergées par l’eau. Ainsi, d’importants mouvements migratoires ont eu lieu, entraînant de graves conséquences dans les villes ou plusieurs sont allés se réfugier. Le gouvernement n’a pas les ressources afin de subvenir aux besoins de tous et la possibilité pour les citoyens de quitter leur pays est freinée par le refus du gouvernement de leur reconnaître le statut de réfugié.
De surcroît, de nombreux États refusent des réfugiés en raison de quotas; comme les États-Unis, qui n’accepteront que 30 000 réfugiés en 2019, chiffre qui, souvent, n’est pas atteint.
Réalité éprouvante
M. Kuntz a terminé la conférence en rappelant les conditions des réfugiés. Il est facile d’oublier le chemin qu’ils ont eu à faire avant d’arriver dans des camps ou dans des pays qui leur offrent de la protection : la traversée de déserts et de mers, le transport dans des moyens précaires et dangereux, la perte de membres de leurs familles et autres nombreuses épreuves.
De plus, les familles traumatisées, incomplètes et souvent démunies arrivent rarement à s’installer dans des pays développés. Il est fréquent que ce soit les pays avoisinants et sans ressources qui accueillent les réfugiés.
Pour ceux qui se retrouvent dans des pays développés, le choc culturel peut parfois être difficile. Les dettes contractées pour se rendre à bon port et l’angoisse engendrée par l’inquiétude à l’égard des membres de la famille vivant encore en terrain hostile rendent difficile l’adaptation. Il faut également être conscient qu’un syrien de 10 ans n’a connu que la guerre, la malnutrition, les persécutions et qui sait quelles autres horreurs depuis sa naissance…
Il est alors nécessaire d’être indulgent envers ces communautés et il faut comprendre que ce n’est pas par choix ou par désir de « profiter du système », tel que le dicte la croyance populaire, qu’ils sont parmi nous.
Crédit Photo @ Danish Siddiqui, Reuters