Le présent article est le deuxième d’une série portant sur le projet de loi Mourir dans la dignité, et plus largement, sur l’euthanasie. Le but de cette série est d’aborder quelques aspects négligés dans les débats entendus sur la place publique, et de donner au lecteur quelques outils et sujets à réflexion l’amenant à se forger sa propre opinion, bien que mon opinion puisse transparaître à l’occasion.
Par François Dubois
Dans le précédent article, nous avons exploré les distinctions, mais surtout les nombreuses similitudes, entre la cessation de soins vitaux et l’euthanasie appelée « aide médicale à mourir ». Il est difficile de ne pas penser à faire le parallèle avec le cas complexe de l’avortement. Le Canada est un des quelques pays du monde où cet acte n’est sujet à aucun encadrement légal. En effet, depuis l’invalidation en 1988 par la Cour Suprême de l’article du Code criminel sur l’avortement, aucun projet de loi n’a réussi à être adopté à ce sujet. En d’autres mots, toute femme peut recevoir un avortement, et ce, pour quelque raison que ce soit.
Cette situation se différencie des nombreuses conditions qui devront être remplies pour bénéficier de l’aide médicale à mourir (si le projet de loi entre éventuellement en vigueur). Entre autres, la personne devra être atteinte d’une maladie grave et incurable en déclin avancé amenant des souffrances physiques ou psychiques constantes et ne pouvant être soulagées de manière tolérable. Ces restrictions sont considérables, mais aucune d’entre elles ne semble abusive, car l’aide à mourir, si elle veut pouvoir se qualifier de médicale, ne doit survenir que lorsqu’elle amène l’amélioration de la qualité de vie du patient. Paradoxal ? On le rappelle, primum non nocere (d’abord ne pas nuire).
Ainsi, le débat sur l’euthanasie en est un de nuances. La question ne tourne pas autour du oui ou du non, mais plutôt du quand et du comment. Dans le débat sur l’avortement, de telles subtilités sont quasi inexistantes laissant place à une certaine dichotomie. On se retrouve à devoir choisir entre le camp des pro-vie ou des pro-choix. Pourtant, il semble, comme dans bien des situations de ce genre, que la réponse se retrouve en un juste milieu.
Lorsqu’une femme a été victime de viol ou lorsque sa grossesse met sa vie en danger, on trouve rarement quelqu’un pour remettre l’avortement en question. À l’inverse, lorsque la terminaison de grossesse est pratiquée uniquement en raison du sexe du foetus, beaucoup de gens sont prêts à monter sur les toits. Évidemment, vous pensez que je parle du cas de la Chine : « J’ai vu des couples opter pour l’avortement simplement parce qu’ils n’avaient que des garçons et voulaient une fille comme dernier enfant, ici au Québec. », me dit Édith Masse, médecin néonatalogiste au Centre Hospitalier Universitaire de Sherbrooke (CHUS). « Récemment? », demandais-je un peu abasourdi : « Fréquemment. On ne devrait tout simplement pas donner le sexe du foetus. » En Chine, on peut tenter de justifier une telle action en considérant que seuls les fils permettent d’assurer l’avenir financier de leurs parents, mais, au Québec, les raisons évoquées semblent bien superficielles.
En assumant que l’avortement est acceptable en cas de viol, mais questionnable lorsque basé uniquement sur le sexe (notez qu’au Québec, l’avortement n’est pas restreint), on en déduit qu’il existe quelque part entre les deux un point, une limite qui demande à être trouvée tel qu’avec l’euthanasie. Comme piste de réflexion, regardons les derniers critères d’éligibilité à l’aide à mourir, critères s’appliquant à tout acte médical : la personne doit être « apte » et fournir un consentement « libre » et « éclairé ». Le critère de consentement « libre » implique que la personne n’agisse pas en raison de la pression venant de son environnement. Un exemple connu serait celui du Témoin de Jéhovah refusant des transfusions par pressions de sa communauté religieuse. Le consentement doit, de plus, être « éclairé » c’est-à-dire que le patient doit disposer de toutes les informations nécessaires à juger de sa situation comme son espérance de vie ou ses chances de guérison. Enfin, il est « apte » s’il possède le jugement pour analyser ces informations et s’il possède encore la capacité d’exprimer ses volontés.
Avec l’avancée de la technologie, de nombreuses maladies peuvent maintenant être dépistées chez le foetus. Dans les cas de maladie grave, l’avortement vient évidemment en tête et celui-ci, dans certaines situations, remplit très bien les critères de maladie incurable, amenant des souffrances physiques intolérables, du projet de loi Mourir dans la dignité. Par contre, le consentement apte, libre et éclairé est bien entendu absent. On y réfléchit deux semaines, et on s’en reparle.
Notes
La partie III traitera de la mort chez les nouveauxnés et chez les enfants.
La partie IV permettra de discerner l’idéalisme du réalisme, entre autres en considérant les problèmes légaux que cela pourrait engendrer.