Le divertissement est omniprésent dans nos vies. Et la culture l’est aussi. La distinction entre les deux est difficile à faire, et ça ne semble pas déranger personne.
Par Julien Beaulieu
C’est dimanche le 9 novembre qu’a été lancée la 75e saison de l’Orchestre symphonique de Sherbrooke (OSS), dans un Centre culturel tout neuf qui n’attendait que cela. Au programme, des classiques de Bartók, de Debussy et de Ravel. Tout ça était bien loin de la musique répétitive à l’excès qui est populaire de nos jours. Car la musique classique, ce n’est pas du bruit, c’est de l’ART (avec toutes les lettres majuscules qui viennent avec). Ou l’était-ce? Le Boléro, grandiose pièce finale du spectacle, répète tout de même 169 fois la même formule rythmique de deux mesures, auxquelles s’ajoutent les 18 répétitions de la mélodie de 8 mesures. On n’était pas si loin de la « nature à son meilleur », pour reprendre le titre d’une des chansons de Misteur Valaire.
Trop souvent est faite la distinction entre les produits culturels jugés nobles, grands et de bon goût et ceux considérés comme vulgaires et de faible envergure. Et si une telle distinction a sa place, où tracer la ligne de la valeur culturelle? Habituellement, après une journée de travail et d’étude, je vais sur « l’internet » pour me divertir. Or, c’est quoi, exactement, le divertissement? Est-ce nécessairement la culture?
Sur le portail web Canoë, la section Divertissement ratisse large : on y retrouve la traditionnelle couverture de la musique, des spectacles et du cinéma, mais aussi une section sur la vie des célébrités, avec les potins qui suivent. De la même manière, ici Radio-Canada.ca offre une section Arts et divertissement traitant elle aussi des productions culturelles d’ici et d’ailleurs, dans tous les formats, dont l’humour et la littérature. Pour Destination Sherbrooke, le divertissement semble correspondre aux différents produits offerts par les cinémas et salles de spectacle de la ville, dont elle fait la liste sur son site. On arrive au même constat lorsqu’on consulte les versions québécoises de Yahoo et du Huffington Post : le divertissement et la culture ne font qu’un. À en croire mon ordinateur, la culture, c’est finalement « ce qui nous divertit ».
Le mot « eau » ne mouille pas
Le mot « divertir » était, jusqu’au XVIe siècle, synonyme de « détourner ». Pour Montaigne (1533-1592), se divertir revient à se « détourner de ses occupations ». Le divertissement est donc un « détournement » de l’esprit.
De la perspective de Pascal (1623-1662), le divertissement est une façon pour l’être humain de se détourner de sa nature misérable. C’est ainsi qu’il dit, dans ses « Pensées » :
« Mais ôtez leur divertissement et vous les verrez se sécher d’ennui. Ils sentent alors leur néant sans le connaître, car c’est bien être malheureux que d’être dans une tristesse insupportable, aussitôt qu’on est réduit à se considérer, et à n’en être point diverti. »
Il rajoute : « Si notre condition était véritablement heureuse, il ne faudrait pas nous divertir d’y penser. »
Est-ce vraiment pour chasser le malheur que j’écoute un film, le soir, après des heures d’étude? Si le divertissement nous éloigne de l’essentiel, alors qu’est-ce que l’essentiel? Pour Pascal et Montaigne, penseurs chrétiens, le divertissement éloigne l’homme de sa vocation religieuse. Leur raisonnement s’arrête là.
Lorsqu’il vente, la pomme tombe loin de l’arbre
C’est fascinant comment, dans le langage populaire, le divertissement est passé de quelque chose qui éloigne l’homme de ce qui est important à un concept qui regroupe l’ensemble du contenu informationnel consommé par l’être humain. Le divertissement, de nos jours, n’est pas perçu de façon négative. Il correspond à une industrie florissante en pleine évolution, notamment avec la prolifération de supports technologiques pour les jeux vidéo, la couverture d’événements sportifs et l’âge d’or des festivals estivaux. Celui qui se divertit a accès à des outils interactifs qui maximisent son plaisir.
Et dans la vie, n’est-ce pas ce qui compte, le plaisir? Si on se fie à la logique hédoniste, c’est le cas.
Le divertissement est omniprésent dans nos vies, et cela se fait au détriment de l’étanchéité de la cloison entre information et divertissement. C’est ce que Michel Reha appelle « l’infodivertissement » (Y&A Magazine, printemps 2012) : d’une part, l’information est présentée de manière à divertir, et de l’autre, elle porte souvent sur des « produits de divertissement ». C’est encore mieux! On double la dose de bonheur, pour le plus grand plaisir de tous.