Par Rémi Brosseau-Fortier

Le Canada a ratifié un nouveau partenariat stratégique avec l’Union européenne (UE), le 23 juin 2025. L’objectif ? Réduire la dépendance canadienne envers les États-Unis dans de multiples domaines, tels que la sécurité, l’industrie de la défense, la diplomatie et plus encore. Après l’annonce de la cible de 2 % du PIB pour les dépenses militaires, cette entente est une nouvelle étape dans la redéfinition forcée de la politique étrangère du Canada. Démystifions le tout.
La ratification du nouveau partenariat stratégique UE-Canada pour l’avenir survient peu après le Sommet du G7 tenu en Alberta du 15 au 17 juin 2025. Lors d’un Sommet Canada-UE, Mark Carney a signé cette entente conjointement avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président du Conseil européen, António Costa. Dans une longue déclaration commune, Ottawa et Bruxelles ont souligné les valeurs et les intérêts communs envers « l’ordre international fondé sur des règles ».
Le soutien envers l’Ukraine et la dénonciation du crime d’agression de la Russie ont été réaffirmés. Cela inclut un appui à la souveraineté de la Moldavie, une petite république ciblée par l’ingérence russe. Au Moyen-Orient, les demandes d’un cessez-le-feu à Gaza et d’un accord négocié pour le programme nucléaire iranien ont aussi été formulées.
Un autre intérêt commun est l’avènement d’une région Indo-Pacifique « libre, ouverte et sûre » grâce au renforcement des partenariats régionaux. Il en va de même dans la région de l’Arctique.
Le Canada, comme l’UE, réitère sa volonté d’atteindre les 17 objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU d’ici 2030 ainsi que la nécessité de lutter contre les crises des changements climatiques et de la perte de biodiversité.
Qu’est-ce que « ReArm Europe » ?
Lancée en mars 2025, « ReArm Europe » est une initiative de défense stratégique servant à dynamiser l’industrie européenne de défense, à mobiliser des capitaux et à améliorer l’approvisionnement militaire paneuropéen. Renommée « Readiness 2030 » en référence à l’année où la Russie détiendra la capacité d’attaquer les pays membres de l’UE et de l’OTAN, ce programme cherche à mobiliser 800 milliards d’euros sur cinq ans.
La Banque européenne d’investissement (BEI), principal organe financier de l’UE, a triplé son portefeuille d’investissements dans la défense. Dans le cadre de « ReArm Europe », la BEI pourra accorder des prêts allant jusqu’à 45 ans afin de permettre un compromis entre dépenses militaires et civiles.
L’objectif est d’accroître l’autonomie stratégique des États de l’UE, c’est-à-dire d’augmenter son approvisionnement auprès du complexe militaro-industriel européen. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), sur la liste des 100 plus grandes entreprises productrices d’armes et de services militaires dans le monde, 27 sont européennes.
Par exemple, les entreprises françaises comme Thalès et Naval Group (navires militaires), Airbus et Dassault Aviation (chasseurs et avions de transport) ainsi que Safran (propulsion aéronautique et spatiale) se positionnent avantageusement.
Les conséquences pour la politique de défense du Canada
Dans une récente publication, les chercheurs Jacob Tuckey et Alexander Lanoszka expliquent que « les dirigeants canadiens ne devraient pas surestimer les avantages qu’ils tireront de ReArm Europe ». Selon les deux membres du Réseau d’analyse stratégique, la priorité accordée aux produits militaires européens dans l’approvisionnement limite les retombées potentielles pour l’industrie canadienne de défense et ses contractants.
Par exemple, dans le secteur des munitions et des missiles, 65 % du coût de production finale doit obligatoirement provenir « […] de l’Union, des pays de l’AELE membres de l’EEE ou de l’Ukraine ». Cela limite la contribution canadienne à une contribution optimiste de 35 % du coût total de production. Cela est aggravé par la distance géographique qui diminue la rentabilité d’une hypothétique relocalisation d’une partie de la production européenne sur le sol canadien.
Le cas des avions de chasse
De plus, en dépit de la volonté canadienne de s’approvisionner davantage en équipement européen, cela sera difficile sur le court terme. Prenons les exemples du chasseur français Rafale ou du Gripen suédois. Les capacités de production des entreprises aéronautiques Dassault Aviation (constructeur du Rafale) et SAAB (constructeur du Gripen) sont insuffisantes pour combler les dizaines de nouveaux chasseurs nécessaires pour remplacer la flotte vieillissante de CF-18 de l’Aviation royale canadienne.
Sur le court et le moyen terme, l’option d’une flotte de chasseurs mixtes combinant des F-35 américains et des Rafales ou Gripen est plus réaliste, mais impliquerait des coûts logistiques et de formation accrue. Parmi ces coûts, notons ceux de la participation du Canada au Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) qui exige des systèmes de communication et de commandement trop onéreux pour des contrats avec Dassault Aviation et Airbus.
Faire face aux défis de l’affirmation stratégique
Le pacte de sécurité et de défense Canada-UE constitue une étape significative pour la diversification des alliances politico-défensives canadiennes. Toutefois, l’intégration commerciale et légale du complexe militaro-industriel nord-américain va rendre la diversification ardue. De son côté, la fragmentation de l’industrie de la défense européenne et la préférence pour les produits construits sur le vieux continent limitent les retombées économiques immédiates pour le Canada.
Malgré le scepticisme des analystes, chercheurs et commentateurs de la politique étrangère canadienne, il demeure que cet accord permet à Ottawa d’envoyer un message fort à Washington : le Canada détient une agentivité et une identité distincte par rapport aux États-Unis.
Source : iPOLITICS