Mieux comprendre la crise du fentanyl 

Par Meg-Anne Lachance 

Selon Santé Canada, le fentanyl est 20 à 40 fois plus fort que l’héroïne. 

Alors que la crise des opioïdes continue de provoquer des ravages de part et d’autre de la frontière, la question du fentanyl s’impose comme un enjeu clé dans les relations entre le Canada et les États-Unis. Pendant que Donald Trump continue de pointer du doigt le Canada, voici quatre questions pour mieux comprendre la situation et ses implications. 

Qu’est-ce que le fentanyl? 

Généralement utilisé dans un cadre hospitalier, le fentanyl est un opioïde qui peut se présenter sous différentes formes (comprimé, injection, timbre à appliquer sur la peau). 

Moins coûteux à produire et à vendre que d’autres opioïdes, le fentanyl s’impose comme une substance de choix pour les narcotrafiquants.  

« C’est moins cher à produire que d’autres drogues, mais ça a un effet beaucoup plus puissant », explique Karine Martel, conseillère scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). 

De 20 à 40 fois plus fort que l’héroïne, le fentanyl est une drogue particulièrement meurtrière. La puissance du fentanyl rend difficile l’évaluation des doses consommées, surtout lorsqu’il est mélangé à d’autres substances, parfois à l’insu des usagers. 

Pourquoi parlons-nous d’une « crise des opioïdes »?  

Pour plusieurs raisons, le Canada fait face à une crise de consommation sans précédent. Depuis 2018, le taux d’hospitalisation pour intoxication aux opioïdes a augmenté de 106 % et le pourcentage de victimes du fentanyl, de 39 % comparativement à 2016.  

En termes de mortalité, les dégâts causés par la surconsommation d’opioïdes sont presque aussi importants que ceux de la COVID. Selon les données du gouvernement, près de 50 000 décès auraient été causés par une intoxication aux opioïdes entre janvier 2016 et juin 2024.  

« Le problème, ce n’est pas le fentanyl en particulier, mais plutôt qu’il y a globalement, sur le marché, des opioïdes extrêmement puissants qui peuvent mener à des surdoses », résume le Dr Didier Jutras-Aswad, chef du département de psychiatrie du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et expert en addictologie. 

Bien que le fentanyl ne soit pas le seul responsable du problème, il reste l’un des principaux contributeurs à la crise des opioïdes au Canada. Selon les données du gouvernement fédéral, 79 % des décès apparemment liés à une surconsommation impliquaient cet opioïde et le tiers des hospitalisations pour intoxication seraient causé par le fentanyl et ses dérivés. 

Malgré les taux toujours situés « à des niveaux extrêmement élevés » selon la ministre de la Santé mentale et des Dépendances, Ya’ara Saks, le Canada a connu une baisse des décès et d’hospitalisation liés aux opioïdes dans la dernière année. 

Cette tendance à la baisse est également remarquée chez nos voisins du sud. En 2023 et pour la première fois depuis 2018, les États-Unis ont connu un déclin de 3 % du nombre de morts liées aux surdoses. Entre avril 2023 et avril 2024, cette moyenne s’élève à 10 %. 

La crise du fentanyl représente-t-elle un réel problème de frontière?  

Oui et non. Dans une note confidentielle destinée au ministre de la Sécurité publique, obtenue par Radio-Canada via la Loi sur l’accès à l’information, le Canada est décrit comme étant devenu un « exportateur net » d’opioïdes de synthèse.  

Le document précise que « la production canadienne de fentanyl semble dépasser la demande intérieure » et que les autorités américaines sont « inquiètes par la production domestique » du fentanyl au Canada. 

Selon le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), le marché du fentanyl est bel et bien en évolution. 

« Dans les dernières années, les réseaux de trafiquants ont augmenté la production de fentanyl et d’autres opioïdes synthétiques ainsi que leur distribution, autant à l’échelle nationale qu’internationale, à partir de l’Amérique du Nord, y compris le Canada, les États-Unis et le Mexique », écrit le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada dans une alerte opérationnelle publiée en janvier de l’an passé. 

Or, les États-Unis ne sont pas la destination de prédilection des réseaux criminels, qui semblent privilégier l’envoi de fentanyl sur le continent océanique. 

Contrairement aux propos de Donald Trump, affirmant que « la quantité de fentanyl qui vient du Canada est énorme », la contrebande canadienne représente moins de 1 % du fentanyl présent aux États-Unis. En 2024, une vingtaine de kilogrammes de fentanyl seulement a été saisi à la frontière.  

Dans un rapport commandé par le Congrès américain en 2022, on y indique que « le Canada n’est pas connu pour être une source majeure de fentanyl, d’autres opioïdes synthétiques ou de précurseurs chimiques aux États-Unis ».  

Le rapport 2024 de la Drug Enforcement Administration américaine sur les menaces liées aux drogues ne fait aucune mention du Canada. Une autre preuve contredisant les accusations du président. 

Que fait notre gouvernement? 

Lors de sa prise de parole concernant les menaces de tarif du président Trump, Justin Trudeau a énoncé une série de mesures pour lutter contre la crise du fentanyl. Dans ces nouvelles promesses figure le « tsar responsable de la question du fentanyl ».  

Questionné par Radio-Canada, certains ministres ont confirmé que cette idée mijotait depuis plusieurs mois, mais que les inquiétudes de Trump rendaient nécessaire l’annonce de ce nouveau poste. 

Le ministre de la Sécurité publique, David McGuinty, affirme que le gouvernement souhaite avoir « une personne, une petite équipe, qui va mener une approche plus coordonnée », mais l’étendue du rôle concret de ce « tsar » reste inconnu. 

En entrevue à l’émission Tout un matin, Jean-Yves Duclos, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, a cependant expliqué que cette personne aura pour mission de communiquer avec l’administration Trump des mesures mises en place par le gouvernement canadien.  

Outre ce nouveau poste, le gouvernement Trudeau a également annoncé un plan de 1,3 milliard de dollars sur six ans afin resserrer les mesures de surveillance à la frontière. Le ministre McGuinty a de son côté déclaré que des négociations étaient en cours avec les autorités américaines afin de créer « une force de frappe conjointe sur le fentanyl ».  


Source : Flickr

Meg-Anne Lachance
Cheffe de pupitre SOCIÉTÉ at Journal Le Collectif  societe.lecollectif@usherbrooke.ca   More Posts

Étudiante en politique, Meg-Anne a toujours été intéressée par les enjeux internationaux, sociaux et environnementaux. Après avoir occupé le rôle de journaliste aux Jeux de la science politique, elle a eu la piqûre des communications. Guidées par un sentiment d’équité, elle s’efforce de donner une visibilité aux actualités oubliées. Féministe dans l’âme, vous pourrez certainement retrouver cette valeur dans certains de ses textes!

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