Par Jacob Desrosiers
Le 24 septembre dernier, nous avons assisté à la conclusion d’un épisode marquant dans les relations sino-canadiennes qui se déroulent depuis maintenant trois ans. Contribuant de façon importante à la détérioration des relations des deux pays jusqu’à des creux historiques, la détention de la célèbre Meng Wanzhou en sol canadien ainsi que celles de l’homme d’affaires Michael Spavor et de l’ancien diplomate Michael Kovrig en sol chinois a pris fin.
Est-ce que la conclusion de cette longue saga contribuera à rapprocher Beijing et Ottawa?
Compte-rendu historique
Pour commencer, qui est réellement Meng Wanzhou (prononcé « meng-won-djo »)? Elle est la directrice financière du géant des télécommunications Huawei en plus d’être la fille du fondateur de la compagnie, Ren Zhengfei. Comme rapporté par Radio-Canada le 25 septembre 2021, son histoire au Canada débute le 1er décembre 2018, date à laquelle les autorités canadiennes procédaient à son arrestation à l’aéroport de Vancouver alors qu’elle descendait d’un vol en direction du Mexique. Le Canada avait reçu un mandat d’arrestation provisoire pour Mme Meng un jour plus tôt de la part du gouvernement américain.
Elle était accusée par la justice américaine d’avoir menti à la Banque HSBC lors d’une rencontre à Hong Kong en 2013 par rapport aux liens unissant Huawei à Skycom, une société qui faisait affaire avec l’Iran. Les États-Unis demandaient alors l’extradition de Mme Meng vers New York afin qu’elle comparaisse devant la justice américaine pour ses accusations de fraude. Très rapidement, la Chine condamne la détention de la dirigeante et va même jusqu’à menacer le Canada de représailles si Mme Weng n’est pas libérée, comme indiqué par Reuters le 24 septembre dernier.
Seulement neuf jours plus tard, les autorités chinoises procèdent à l’arrestation de deux Canadiens : l’ancien diplomate Michael Kovrig et l’homme d’affaires Michael Spavor, surnommés communément « les deux Michaels ». Les deux hommes seront par la suite accusés par le gouvernement chinois d’espionnage à l’été 2020. Entretemps, les relations entre la Chine et le Canada, pays autrefois qualifié par la Chine comme étant son « meilleur ami », se détériorent rapidement et atteignent un bas fond historique.
Les répercussions économiques du mauvais état général des relations sino-canadiennes sont importantes et nombreuses étant donné que la Chine figure parmi les deux principaux partenaires économiques du Canada (avec les É-U), étant d’ailleurs le premier pays importateur de ressources tels le porc et le canola canadien. Ainsi, lorsque Beijing prend la décision de bloquer les exportations de ces deux ressources, les impacts sur le marché canadien se font rapidement ressentir.
Cela dit, un an et demi de guerres de mots et de pressions économiques/diplomatiques plus tard, un point décisif est atteint dans cette affaire lorsque Meng Wanzhou reconnaît avoir menti à la Banque HSBC. Cet aveu a ensuite mené à un accord de suspension des poursuites contre Mme Meng par la justice américaine à la fin du mois de septembre 2021, lui permettant de rentrer en Chine. Les deux Michaels, quant à eux, sont libérés très peu de temps après l’annonce du verdict.
La diplomatie des otages et la nouvelle politique étrangère chinoise
Face à cet épisode, il est possible d’émettre la question suivante : nous savons que les cas de Meng Wanzhou et des deux Michaels se sont déroulés essentiellement en même temps, mais sont-ils forcément liés? La réponse dépend de la personne à qui on pose la question. En effet, la Chine a toujours affirmé que les deux événements ne sont en aucun cas liés. Néanmoins, aux yeux d’anciens diplomates comme Colin Robertson ou d’experts comme Margaret McCuaig Johnson, les événements seraient indéniablement conjoints. Dans ce cas-ci, cela voudrait dire que les deux Canadiens ont servi essentiellement de moyen de pression pour le gouvernement chinois afin d’obtenir la libération de Meng Wenzhou. C’est ce qu’on appelle communément de la « diplomatie des otages ».
Est-ce la première fois que la Chine utilise une telle tactique à l’égard du Canada afin d’arriver à ses fins? Pas du tout. En effet, en 2014, le gouvernement chinois a procédé à l’arrestation et à la détention subséquente d’un couple formé des Canadiens Kevin et Julia Garratt alors qu’on les accusait d’espionnage. Tout comme en 2018, les arrestations par les autorités chinoises ont eu lieu suite à l’arrestation préalable d’un Chinois en sol canadien par la suite extradé aux É-U. Dans ce cas précis, il était question d’un homme d’affaires chinois nommé Su Bin, qui était accusé d’avoir volé des informations militaires confidentielles. L’épisode des Garratt s’est quant à lui conclu lorsque Su Bin a accepté l’extradition vers les É-U.
Selon Christopher W. Bishop du think tank américain Council on Foreign Relations, l’usage de la diplomatie des otages par la Chine afin d’obtenir la libération de Meng Wanzhou est un exemple parmi tant d’autres servant à expliquer une nouvelle tendance qu’on observe à l’international depuis la dernière année : celle d’une Chine désormais beaucoup plus agressive à l’international pour affirmer sa dominance. D’autres exemples de cette nouvelle approche incluent les affrontements frontaliers sino-indiens de 2020, la militarisation de la mer de Chine méridionale, les récentes démonstrations militaires face à Taïwan et la réaction chinoise lors des manifestations prodémocratie à Hong Kong.
L’avenir des relations sino-canadiennes
Est-ce que le règlement d’une des principales causes derrière la détérioration des relations sino-canadiennes mènera à un retour à la normale? Dur à dire pour le moment. Il est toutefois possible que les relations sino-canadiennes s’améliorent légèrement après la conclusion de cette saga, sans toutefois atteindre le même niveau de cordialité que les deux pays entretenaient cinq ou dix ans plus tôt : encore moins lorsqu’on considère la récente condamnation du traitement des Ouïghours au Xinjiang par le gouvernement canadien, en concordance avec la vision du gouvernement américain sur cette question.
Crédit photo @ Gwengoat