Par Caroline Brouillette
Sherbrooke, le 20 août 2014 – Une dame à l’allure jeune entre dans la salle d’attente du Service d’aide aux Néo-Canadiens. Trois enfants, tout sourire, sont à sa suite. Ils me demandent quels sont ma saison et mes sports favoris. Cette bonne humeur contagieuse me fait presque oublier le drame qui les a amenés ici, jusqu’à ce que la plus jeune des enfants pointe une affiche d’Amnistie Internationale à l’image de Raïf Badawi en tirant sur la manche de sa mère. «Maman, maman, regarde, c’est papa!»
Ensaf Haïdar et ses trois enfants âgés de sept à dix ans ont obtenu leur statut de réfugiés canadiens en décembre dernier, après huit mois en Égypte et presque deux ans au Liban. Pourtant, ne parler que de ces escales omettrait l’essentiel de leur parcours. Effectivement, le père de la famille, Raïf Badawi, est détenu en Arabie Saoudite et est condamné à 10 ans de prison, 1000 coups de fouet, 10 ans d’interdiction de voyager et une amende de 300 000$ canadiens.
M. Badawi a créé un forum libéral critique du gouvernement saoudien où fonctionnaires et citoyens pouvaient échanger et discuter. On y visait beaucoup la Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice, responsable, entre autres, de la notoire interdiction aux femmes de conduire. C’est cette police religieuse qui décide également de l’inégalité salariale entre les hommes et les femmes et de l’interdiction de plusieurs postes à ces dernières.
Légalement proscrit de tout voyage à l’extérieur du pays depuis 2008, Raif Badawi était déjà surveillé par les autorités pour ses activités dites subversives. En plus d’avoir été attaqué devant un guichet automatique, les procédures administratives de ce dernier avec le gouvernement avaient été gelées, et la demeure familiale fouillée par les services secrets. Ce pour quoi sa conjointe et les trois enfants ont décidé de quitter le pays. Il sera finalement arrêté lors d’un simple contrôle d’identité à un barrage routier.
Entre-temps, toutefois, les deux conjoints sont presque contraints de divorcer, non pas pour simplifier le voyage ou pour éviter les représailles à sa femme et ses enfants : en Arabie Saoudite, la famille d’une femme peut faire une action en justice pour la divorcer d’un mari qu’elle juge non-convenable, sans son accord. C’est ce que les proches de Mme Haïdar ont tenté de faire, sans succès, à cause de son départ du pays. Ils ont tout de même réussi à la retirer de l’héritage paternel. Des pratiques encouragées par des lois qui, somme toute, représentent une interprétation distordue de l’islam. Selon Ensaf Haïdar et son interprète, «ce statut supérieur des hommes est issu des traditions en Arabie Saoudite, pas de la religion».
Après son arrestation et sa première condamnation à mort pour apostasie, la famille de M. Badawi contestera trois fois le jugement de celui-ci, retardant le châtiment corporel des coups de fouet. Après avoir réussi à faire changer la peine deux fois, l’appel est sans succès. Les coups de fouet seront donc donnés par tranche de 50, publiquement, chaque vendredi, après la prière.
La famille tente donc d’éveiller l’opinion publique internationale à son histoire, par le biais, notamment, d’une campagne de la section francophone d’Amnistie Internationale Canada. Reconnaissante de l’aide et de la sympathie reçues de la communauté sherbrookoise, Mme Haïdar souligne cependant que l’imprévisibilité du système de justice saoudien est plutôt décourageante.
«Qu’il nous rejoigne, c’est tout ce que j’attends», me dit-elle. On lui souhaite de tout cœur. Et en attendant, on supporte ses démarches en prenant deux petites minutes de notre temps et on signe la pétition pour que Raïf Badawi retrouve sa liberté: https://www.amnistie.ca/outils/petitions/index.php?PetitionID=69.