Par Arnaud Prud’homme
Depuis le début des années 2010, nous sommes l’audience de commissions d’enquête scrutant l’intégrité de nos élus. En effet, la commission Bastarache avait pour mandat d’étudier le processus de nomination de juges, tandis que la commission Charbonneau enquête sur l’octroi de contrats dans le domaine de la construction. Le mandat de ces deux commissions dépasse la simple recherche de coupables puisque c’est la transparence même de notre système qui est au cœur de ces problématiques.
Pourtant, nos députés, qui sont des acteurs clés de ce système, sont soumis à des contraintes légales par le biais du Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale. Le principe fondamental de ce code veut que l’intérêt de la population du Québec guide chacun des gestes des élus. En cas de manquement, les sanctions sont principalement pécuniaires. Il est toutefois possible qu’un député perde son siège si l’assemblée adopte, aux deux tiers des voix, le rapport du commissaire à l’éthique faisant état de ce manquement et proposant cette sanction. Malgré de nombreux scandales, un tel évènement ne s’est jamais produit. Pourquoi?
Même si le commissaire propose cette sanction, obtenir le deux tiers des voix de l’Assemblée nationale n’est pas une mince affaire. D’abord, il est peu probable qu’un parti possède à lui seul le deux tiers des sièges. Il faudrait donc qu’au moins deux organisations politiques allient leurs voix. De plus, l’opposition n’a jamais possédé le deux tiers des sièges depuis l’adoption du code en 2010, et ce, même en présence d’un gouvernement minoritaire. La participation du conseil exécutif à cette procédure serait alors nécessaire. Comme les scandales éthiques touchent généralement des membres du cabinet ministériel, cet appui est invraisemblable étant donné que le gouvernement perdrait alors la confiance de la chambre et, du coup, le pouvoir.
Cependant, ce n’est pas parce qu’il est peu plausible qu’un député fautif perde son siège qu’il n’est pas pour autant sanctionné. Cette sanction s’observe dans les médias, les manifestations populaires et les bulletins de vote. Cette peine, c’est la population du Québec qui l’inflige.
Le scandale récent qui éclaboussa le ministre Yves Bolduc est un bon exemple. Ce dernier a quitté la pratique médicale après les dernières élections en touchant une prime pour la prise en charge de nouveaux patients. Toutefois, une partie de ces derniers n’ont jamais été traités par le Dr. Bolduc. Dans pareille situation, la Régie de l’assurance maladie du Québec récupère la moitié de la portion de la prime concernant ces patients. Bien que tout ce processus soit légal, de nombreux acteurs politiques exigèrent le remboursement total de la prime et certains réclamèrent même la démission du ministre. De surcroit, les médias ne cessaient de le talonner à ce sujet et les commentaires de citoyens à son égard se firent des plus virulents. Devant une telle pression, M. Bolduc décida de donner à des œuvres de charité l’autre moitié de la prime qui lui fut attribuée pour les patients qu’il n’a pas traités. Depuis cet évènement, le moindre faux pas du ministre de l’Éducation suffit à faire les manchettes.
Ce scandale et les commissions d’enquête mettent en évidence que les normes juridiques ne sont présentement pas à la hauteur des aspirations populaires en matière d’éthique. Il va sans dire que la joute politique constitue un important frein à la résolution de ce problème. Néanmoins, la tâche de réédifier le droit en fonction de la volonté citoyenne et de rétablir son statut de gardien de la Justice incombe aux élus. Cette tâche n’appartient pas à un seul parti ni à une seule idéologie. Elle est l’affaire de tous.