L’exode de la politique municipale québécoise : une rétention difficile  

Rémi Brosseau-Fortier 

La Mairie de Sherbrooke. 

Les élections de 2021 ont marqué une transition vers une nouvelle ère pour la politique municipale au Québec. L’aspiration à la parité a été confirmée par l’élection de femmes au poste de mairesse dans cinq des plus grandes villes au Québec (Montréal, Sherbrooke, Longueuil, Gatineau et Saguenay). Toutefois, les démissions se sont multipliées au cours des quatre dernières années. À l’aube des élections du 2 novembre 2025, les annonces de départ de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, et de la mairesse de Sherbrooke, Évelyne Beaudin, ont suscité des réflexions sur la réalité du travail des personnes élues au municipal.   

Selon Élections Québec, il y a eu 1 082 démissions de maires et mairesses ou de personnes conseillères depuis 2021. Ce sont plus de 802 élections partielles qui ont été organisées pour pourvoir les postes vacants. Les démissions ont augmenté de 41 % comparativement aux élections de 2017.  

Les personnes ayant démissionné pointent du doigt des causes similaires : climat de travail malsain, incivilités envers les personnes élues dans les médias sociaux et les conseils municipaux ou une conciliation travail-famille difficile.  

Des responsabilités lourdes à porter  

Dans le cas de l’ex-mairesse de Gatineau, France Bélisle, ayant démissionné le 22 février 2024, les principales causes de son départ de la politique active sont « la désillusion, l’intimidation, les ressources insuffisantes [et] la pression intense ». L’ancienne journaliste de formation a aussi dénoncé le climat tendu et la charge mentale engendrée par la couverture médiatique constante, parfois sensationnalistes. Les insultes et la haine déversées contre les personnes élues sur les médias sociaux ne sont pas sans conséquences pour leur santé mentale. 

La démission de la mairesse de Chapais en novembre 2023, Isabelle Lessard, la plus jeune mairesse du Québec, offre un exemple frappant de l’impact de la vie politique sur la vie personnelle des personnes élues au municipal.  

Petite municipalité située dans le Nord-du-Québec, la ville de Chapais a été durement touchée par les feux de forêt dévastateurs pendant la saison estivale 2023. Élue en 2021 à l’âge de 21 ans, la mairesse a été contrainte de gérer une crise majeure alors que la communauté de Chapais a évacué la ville en raison de la menace des flammes. Au total, l’avis d’évacuation a visé 800 personnes qui ont quitté 500 résidences.  

La jeune élue a conservé de cet épisode des séquelles importantes : l’anxiété et la fatigue ressenties après ces événements tragiques se sont manifestées en un syndrome de choc post-traumatique. Ces atteintes à la santé mentale et physique ont contraint Mme Lessard à démissionner. Cette dernière a par la suite dénoncé le manque de soutien du gouvernement du Québec. 

« À un certain moment, je me suis sentie abandonnée et délaissée par le système politique québécois. Je sentais réellement, je ne sais pas comment le dire poliment, qu’on s’en fout de Chapais et du Nord-du-Québec qui est en train de passer au feu ». 

Elle dénonce le manque de ressources, comme par exemple, l’absence d’un programme d’aide aux personnes élues au municipal. La limite de 90 jours d’absence consécutifs aux séances du Conseil municipal qui existe en vertu de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités est aussi jugée comme étant un délai trop court lors d’enjeux de santé majeurs pour les personnes élues.  

Quelles sont les solutions?  

Toutes ces embuches contribuent à diminuer l’attractivité des postes au niveau municipal. En plus des conditions salariales peu compétitives face à leurs homologues provinciaux et fédéraux, il est compliqué pour les jeunes personnes élues de concilier travail et vie familiale.  

Selon les 11 élues membre du Réseau des Jeunes Mères au Municipal (RJMAM), il est urgent pour le gouvernement du Québec d’agir afin de permettre une représentation des jeunes au municipal grâce à des conditions décentes, en particulier pour les jeunes mères.  

Dans un mémoire déposé à l’Assemblée nationale du Québec en avril 2024 lors des travaux en commission parlementaire sur le Projet de loi n°57 visant à protéger les élus, le RJMAM a mis de l’avant quatre recommandations afin « d’améliorer les conditions de travail des personnes élues sans porter préjudices aux citoyennes et aux citoyens ».  

On y recommande, entre autres, l’instauration d’un nombre de semaines de congé parental pour les élues municipales équivalent au Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), notamment en y incluant des semaines de retrait pré-accouchement.  

Les élues mettent également de l’avant l’idée d’autoriser la participation à distance pour les conseils municipaux dans le cas de circonstances particulières (proche-aidant, maladie d’un enfant, etc.). Cette recommandation a été retenue et appliquée par la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest.  

Le RJMAM propose également d’offrir la possibilité de procéder à un vote et à un droit de parole par procuration. Enfin, la quatrième recommandation est de créer un fonds national pour offrir des ressources administratives aux élues en congés parentaux afin d’assurer les suivis citoyens.  

Pour la porte-parole du RJMAM, la conseillère municipale sherbrookoise Laure Letarte-Lavoie, la mise en œuvre de l’ensemble de ces recommandations serait un pas dans la bonne direction afin de « mettre fin à cette iniquité entre les élues et les autres femmes du Québec, […] attirer et retenir de nouveaux talents, et atteindre la parité ». 

Qualifié de « créatures des provinces » en raison du pouvoir législatif des gouvernements provinciaux sur la définition des champs de compétences des municipalités, le palier municipal semble pourtant être l’espace politique d’avenir. Grâce à ses actions locales, directes et concrètes sur des enjeux comme le transport, la planification urbaine ainsi que la gestion et la revalorisation des déchets, le palier municipal est un acteur clé de la transition écologique.  

La vague d’élection de mairesses et de maires progressistes et environnementalistes en 2021 avait soufflé un vent de changement au Québec. Les élections municipales de l’automne 2025 seront l’occasion de vérifier l’impact réel des initiatives et l’évolution du discours public concernant les conditions de travail au municipal sur la motivation des jeunes, des femmes et des communautés issues de la diversité à se lancer en politique.    


Crédits : Jérome BLUM-Wikimedia Commons

Scroll to Top