L’entrevue de Charlie

Par François Dubois

S’il y a un sujet dont on a beaucoup parlé dans les derniers mois, c’est bien celui de la liberté d’expression. Bien sûr, on pense tout de suite aux attentats de Charlie Hebdo, mais aurions-nous déjà oublié les mésaventures entourant la diffusion de la comédie The Interview de Seth Rogen et Evan Goldberg?

Autant cette œuvre cinématographique a-t-elle été omniprésente dans l’actualité avant sa sortie, autant en a-t-on peu parlé après sa diffusion. La raison est bien simple : toute personne ayant visionné ce film s’est bien rendu compte qu’il n’a aucune vocation politique quelle qu’elle soit, et absolument rien de « l’acte de terrorisme » décrit par Kim Jong-Un. Il s’agit tout simplement d’une comédie vulgaire, qui vous fera rire si vous l’écoutez avec vos amis et vous rendra mal à l’aise si votre mère est présente. Ainsi, cette œuvre n’a rien du caractère provocateur qu’on avait si délibérément moussé.

Chez Charlie Hebdo, c’était tout le contraire. On cherchait très clairement à déranger, à faire réfléchir. Ses auteurs ne se cachaient d’ailleurs pas du caractère politique de leurs dessins (comme de leurs desseins d’ailleurs).

Dans les deux cas, la réaction publique aux menaces/actes de terrorisme fut de scander à l’atteinte de la liberté d’expression que celle-ci devait être défendue à tout prix : il s’agit d’un raisonnement facile. La liberté d’expression n’a comme valeur que celle du message qu’elle sert à diffuser. Par exemple, lorsqu’on tient des propos visant à combattre les inégalités (pensons aux luttes pour l’égalité des sexes ou des races), il est évident que la censure est complètement inacceptable. Dans le cas d’une comédie telle que The Interview, qui bien que divertissante, ne demeure tout de même qu’une simple blague assez insignifiante, de dire que la liberté d’expression doit être défendue à tout prix, et donc jusqu’à la perte de vies humaines, est complètement exagéré.

Pourtant, lorsque Sony a décidé d’annuler sa sortie en cinéma à la suite des diverses menaces terroristes, la firme fut criblée de reproches, et ce, même de la part de la Maison-Blanche, qui se dégoutait d’une supposée victoire des terroristes. S’il s’agit du genre de victoire que nous devions concéder pour ne pas mettre en danger inutile ne serait-ce qu’une seule personne, cela ne semble-t-il pas bien peu? La liberté d’expression ne tirant son sens que par son émancipation de la vie humaine, de risquer cette dernière au nom de la lutte à la censure semble bien peu réfléchi.

Du côté de Charlie Hebdo, la situation était très différente, car le message en question avait une tout autre qualité. Attention, on ne fait pas état ici du contenu du message lui-même, mais plutôt de l’ambition qui était montrée par son auteur. En effet, la défense de la liberté d’expression ne doit jamais être sélective à l’affirmation elle-même, mais plutôt aux prétentions de celle-ci. On comprend alors qu’elle prend un tout autre sens dans le cas des fameuses caricatures de Mahomet, qui avaient des visées au-delà du simple divertissement. Mais encore là, jusqu’où doit-on se rendre? Si les auteurs de Charlie Hebdo avaient pu savoir ce qui les attendait, auraient-ils jugé que leur message valait réellement la peine de sacrifier des vies humaines, particulièrement celles ne leur appartenant pas? Après tout, évitons, tout en gardant le plus grand respect, de mettre sur un piédestal tous ces événements qui, au final, sont bien plus de l’huile sur le feu que de l’eau dans son vin.

Charlie ou pas, je sympathise, m’offense et me révolte, car je suis humain, je suis citoyen de la Terre, et donc reconnais le caractère sacré de la vie des autres autant que celui de la mienne.

Charlie ou pas.

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