La bataille des infirmières iraniennes 

Par Meg-Anne Lachance 

Les infirmières iraniennes continuent de réclamer des salaires équitables et de meilleures conditions de travail, malgré les arrestations de plusieurs participantes. 

Le mouvement de grève des infirmières iraniennes lancé il y a plus de six mois continue de prendre de l’ampleur, sans s’essouffler. Malgré l’arrestation de plusieurs participantes, elles continuent de réclamer des salaires équitables et de meilleures conditions de travail. Alors que les grèves des infirmières se multiplient en Iran, le Centre pour les droits humains en Iran (CHRI) exige aux autorités de respecter le droit à la manifestation des infirmières et de cesser la répression violente. 

Les manifestations ont éclaté après le décès d’une infirmière de 32 ans, Parvaneh Mandani, le 2 août dernier. Son décès, causé par une surcharge de travail, est rapidement devenu un symbole pour les infirmières en colère un peu partout au pays. 

Mohammad Reza Sharifi-Moghaddam, secrétaire général de la maison des infirmières, a qualifié cette mort de « suspecte », ajoutant qu’« une autre infirmière de Kermanshah, à l’ouest de l’Iran, s’est également suicidée en ingérant des comprimés de phosphure d’aluminium ». 

Après avoir débuté à l’ouest de Téhéran, à Karaj, le mouvement s’est étendu dans une dizaine de villes iraniennes. Le 2 septembre dernier, ce sont les secouristes qui se sont joints aux manifestations lacées par les infirmières de l’Université des sciences médicales à Ispahan. 

Les infirmières dénoncent des conditions de travail pénible et des salaires insuffisants. Le cas de Mme Mandani n’est malheureusement pas isolé. Les conditions d’emploi du personnel soignant ont déjà poussé certaines à s’enlever la vie, trop épuisées par les exigences professionnelles. 

Convocations et répressions 

« Nous avons entendu de nombreuses promesses, mais nous n’avons pas vu de réponses », peut-on lire sur des affiches de manifestantes. 

Bien que débutée en fin d’année dernière, la colère des infirmières s’est multipliée en juillet dernier, par le sentiment d’être ignoré par le gouvernement. Certaines femmes qui avaient pris part aux contestations ont, par la suite, été menacées et convoquées par leur employeur. 

Plusieurs autorités hospitalières ont menacé les infirmières de licenciement si ces dernières poursuivaient les protestations. 

« Si des infirmières participent à des rassemblements et à des manifestations, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des facultés de médecine, elles sont immédiatement convoquées au comité de discipline », explique Mohammad Reza Sharifi-Moghaddam. 

« Depuis des années, la majorité féminine des infirmières en Iran est exploitée et réduite au silence, déclare Hadi Ghaemi, directeur de Iran Human Rights (IHR). « Sans la liberté de former des syndicats indépendants, ces travailleuses subissent une sévère répression pour avoir simplement réclamé ce qui leur est dû : des salaires équitables et des conditions de travail sûres. »  

Malgré les garanties constitutionnelles en Iran pour la formation d’associations professionnelles, le droit de grève et la création de syndicats indépendants ne sont pas reconnus. Les autorités iraniennes répriment les leaders syndicaux et arrêtent les manifestantes, deux principes pourtant protégés par l’Organisation internationale du travail (OIT).  

Même si l’Iran est membre fondateur de l’OIT, les conventions garantissant la liberté d’association et le droit de négociation collective n’ont jamais été ratifiées par le pays.  

L’IHR, alerte sur les « arrestations arbitraires » effectuées lors des dernières manifestations. Selon l’ONG, une infirmière de l’hôpital Milad de Téhéran aurait été « arrêtée par les forces de sécurité iraniennes » et « emmenée dans un lieu non divulgué », lors des manifestations à Divandareh. L’IHR liste également trois autres interpellations. 

La réponse des autorités vient violer certains engagements iraniens signés dans le cadre des Pactes internationaux relatifs aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. 

La population est également accusée d’avoir usé de violence à l’encontre de manifestantes. 

« De nombreuses infirmières et membres du personnel médical s’étaient rassemblés pour protester et scander des slogans lorsque des individus en civil les ont soudainement attaqués et dispersés violemment », raconte une travailleuse ayant pris part à une manifestation à Mashhad. Elle explique que les infirmières ont dû s’interposer pour éviter de plus graves affrontements.  

« L’inflation en dollars, nos salaires en rials » 

En Iran, les infirmières gagnent en moyenne 200 à 250 dollars par mois, un salaire qui se situe en dessous du seuil de pauvreté. La question du revenu est l’une de leurs revendications principales. Sur cette liste, figure aussi « une augmentation immédiate des salaires, l’élimination des heures supplémentaires obligatoires » et « la mise en œuvre adéquate et immédiate des tarifs des soins infirmiers ». 

« Les salaires des paramédicaux ont toujours été bas en Iran, les paies sont parfois tardives et l’inflation rend leur quotidien très difficile. Elles sont nombreuses à devoir chercher des sources de revenus complémentaires. La situation est telle que les infirmières ne peuvent plus contenir leur colère. C’est un appel à l’aide et c’était prévisible », confie une spécialiste anonyme de la santé publique. 

Les lois nationales, comme la loi sur les services infirmiers de 2006, censée ajuster les salaires en fonction de la charge de travail, et la loi de 2009 sur la promotion de la productivité, qui impose des niveaux de personnel adéquats, continuent d’être ignorées.  

« Malgré ses obligations légales nationales et internationales, la République islamique viole sans cesse les droits des travailleurs », dénonce Hadi Ghaemi, expliquant que cette répression est alimentée par des décennies d’impunité et par l’absence de pression internationale. 

Pour Sahar Motallebi, médecin et chercheur en santé publique internationale, le problème prend source dans une décision du ministère visant à déléguer le paiement des infirmières aux établissements où elles travaillent. « Ces établissements, financés par leurs propres revenus, paient souvent les infirmières moins que ce qui est attendu », indique Motallebi. 

Les problèmes d’approvisionnement en médicaments dont souffre le pays en raison des sanctions internationales rendent leur travail encore plus ardu, ajoute la source anonyme, qui a observé une nette dégradation du système hospitalier public. Le gouvernement iranien a un énorme déficit budgétaire estimé à plus de 50 % qui l’empêche de céder aux revendications des infirmières.  

Malgré tout, les infirmières continuent de réclamer ce qui leur est dû. « Si nous n’obtenons pas nos droits, nous n’irons pas à nos quarts de travail », affirme une manifestante. 


Crédits: Vahid Salemi

Meg-Anne Lachance
Cheffe de pupitre SOCIÉTÉ at Journal Le Collectif | + posts

Étudiante en politique, Meg-Anne a toujours été intéressée par les enjeux internationaux, sociaux et environnementaux. Après avoir occupé le rôle de journaliste aux Jeux de la science politique, elle a eu la piqûre des communications. Guidées par un sentiment d’équité, elle s’efforce de donner une visibilité aux actualités oubliées. Féministe dans l’âme, vous pourrez certainement retrouver cette valeur dans certains de ses textes!

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