Par Jean-François Eddie
Avec une dynamique électorale forte, les droites populistes ont le vent dans les voiles. Les récentes élections au sein du Vieux continent dénotent un important mouvement populiste de droite. Comme il l’a été publié dans le livre Le Retour des populismes : l’état du monde 2019, « en 2014, le score du Front national dépasse de 18,7 % celui de 2009, celui du Parti du peuple danois de 11,8 %, celui du Parti libéral d’Autriche de 7 % et celui des Démocrates de Suède de 6,4 %. » Avec ces avancées historiques, s’agit-il des signes d’une potentielle hégémonie idéologique d’extrême droite? Certes, l’émergence de la droite populiste est indéniable, mais plusieurs experts sont d’avis qu’il s’agit plutôt d’un feu de paille.
Une montée hétérogène
Les récents développements de l’idéologie politique européenne démontrent la montée d’une mentalité exclusionniste, autoritaire et populiste. Avec une progression claire, l’extrême droite est désormais une tendance visible à travers l’Europe. Toutefois, il est peu probable que cette ascension se transforme en tendance durable. Même si cet accroissement est fortement répandu, il ne s’agit pas des signes avant-coureurs d’une hégémonie idéologique et politique.
En effet, même si ces formations se positionnent de manière semblable sur l’échiquier politique, leurs influences électorales sont fondamentalement inégales. Le problème principal qui se dresse devant ce mouvement d’extrême droite est issu du fait que ces formations radicales sont diverses et multiformes. Réalité politique sans importance pour certains, il s’agit d’un désavantage significatif lorsqu’il est question de rivaliser avec la dynamique communautaire européenne.
Compenser avec l’extrême
À la suite des élections européennes de 2014, Marine Le Pen décide de constituer une nouvelle entité politique d’extrême droite au Parlement européen. Pari facile en théorie, la création du groupe « Europe des nations et des libertés (ENL) » fut extrêmement complexe en raison du degré de respectabilité, de compatibilité avec les normes démocratiques requises. Ainsi, il lui aura fallu plus d’un an pour recruter les 25 eurodéputés, de sept pays différents, nécessaires pour que l’application soit valide.
Fondamentalement hétérogènes, plusieurs organisations ont été jugées trop radicales par Le Pen : L’Aube dorée (Grèce), le Jobbik (Hongrie), le Parti national-démocrate (Allemagne) et le Congrès de la nouvelle droite (Pologne) (5) n’ont pas été considérées, notamment en raison de leurs programmes antisémites et néonazis. Vice versa, des formations sollicitées par Le Pen comme l’UKIP (Royaume-Uni), le Parti du peuple (Danemark) et l’Alliance nationale (Lettonie) ont catégoriquement refusé de prendre part à l’ENL, puisqu’elles sont d’avis que le mouvement est antisémite et raciste.
Au final, ces partis que l’on qualifie d’extrême droite sont lourdement divisés lorsqu’il est question de leur éthique par rapport aux normes démocratiques. Il s’agit d’un clivage qui empêche la droite populiste de réellement prendre son envol.
Un programme commun est-il seulement possible ?
Les fondements idéologiques que devrait revêtir le populisme de droite restent également à définir. Il est important de noter que malgré leurs assises communes de populisme et d’euroscepticisme, les entités d’extrême droite se contredisent sur les questions socio-économiques. Nonna Mayer, politologue au Centre d’études européennes de Sciences Po, met l’accent sur les divergences suivantes : « le Front national est jugé trop étatiste […] Les droites scandinaves se montrent beaucoup plus féministes […] Le degré de rejet de l’Union européenne est très variable, allant du souverainisme intégral à l’Europe des régions en passant par la réduction de la zone euro. »
Depuis plusieurs années, l’extrême droite est incapable de mettre de l’avant une coopération solide et durable. Avec des programmes culturels et économiques aussi diversifiés, il n’est pas surprenant d’apprendre que la rencontre de l’ENL en décembre 2017 fut une totale cacophonie. Cette absence de cohésion au sein des droites populistes ralentit considérablement leur progression électorale lorsqu’il est question d’atteindre les summums de l’exécutif.
Une influence exagérée
Depuis un certain temps, plusieurs médias se prononcent sur le « danger imminent » que représente l’électorat grandissant des formations d’extrême droite. Malgré d’importants gains, leurs influences ainsi que l’attrait de leurs programmes sont à relativiser. De fait, ces mouvements sont presque inexistants en Islande, en Irlande et au Portugal.
Pour plusieurs citoyens de l’Union européenne, des politiques d’euroscepticisme et d’intolérance envers les minorités sont tout simplement ridicules. Comme l’ont écrit Bertrand Badie et Dominique Vidal, auteurs du livre Le Retour des populismes : l’état du monde 2019, « une enquête récente menée dans les 28 pays membres montre que la majorité des personnes interrogées a plutôt une vision positive de l’UE, une perception qui s’est même améliorée depuis le Brexit. » Il faut noter que l’avancée des formations populistes reste contenue et même éphémère, car la vaste majorité de la communauté européenne condamne ces programmes.
Au final, la montée de l’extrême droite en Europe est un phénomène indéniable, même spectaculaire. Toutefois, des clivages, comme le non-respect des normes démocratiques, l’absence de cohésion idéologique et une influence concrète qui est faible, sont des facteurs qui militent contre une hégémonie de l’extrême droite. Ainsi, les droites populistes devront réviser leurs programmes électoraux si elles souhaitent un jour pouvoir rivaliser avec la dynamique communautaire européenne.