Par Meg-Anne Lachance

Les relations continuent de se détériorer entre l’exécutif et le judiciaire américain. Après avoir encaissé plusieurs revers par différents juges à travers le pays, le président Trump a demandé à la Cour suprême d’agir contre les juges qui, à son avis, s’opposent à lui.
« Ce juge [James Boasberg], comme beaucoup des juges corrompus devant lesquels je suis forcé de comparaître, devrait être destitué », a insisté Donald Trump via sa plateforme Truth Social, le 18 mars dernier.
Il a également accusé le magistrat de « gauchiste radical dérangé, fauteur de troubles et agitateur malheureusement nommé par Barack Hussein Obama ».
La veille, le juge Boasberg avait convoqué une audience spéciale pour déterminer si les ordres de la cour concernant l’opération d’expulsion de plus de 200 membres présumés d’un gang vénézuélien avaient été respectés ou non.
Saisi en urgence le 15 mars, le juge Boasberg avait ordonné la suspension pendant 14 jours de toute expulsion fondée sur l’Alien Enemies Act et le retour des avions transportant les migrants vers le Salvador.
Adopté en 1798, l’Alien Enemies Act permet l’expulsion des ressortissants étrangers, légaux ou non, du sol américain sans nécessairement qu’ils aient commis un crime. La loi peut toutefois être utilisée qu’en cas de « guerre déclarée entre les États-Unis et une nation ou un gouvernement étranger » ou d’« invasion » perpétrée « contre le territoire des États-Unis par une nation ou un gouvernement étranger ».
L’administration Trump avait cependant refusé la demande, affirmant que les avions avaient déjà décollé au moment de la décision.
Bien qu’il ait argumenté sur la compétence du tribunal hors de l’espace aérien des États-Unis, le représentant du gouvernement Trump a affirmé avoir respecté la décision de la cour. Il a cependant refusé de partager l’information concernant l’horaire des vols, leur destination ou le nombre de personnes expulsées, pour des raisons de « préoccupations de sécurité nationale ».
Le ministère de la Justice a notamment demandé de démettre le juge Boasberg de ses fonctions, invoquant « les risques que le tribunal puisse forcer le gouvernement à révéler des informations sensibles relevant de la sécurité nationale sous peine de sanctions ».
Un rappel à l’ordre
La Cour suprême a lancé un rappel à l’ordre au gouvernement mardi, quelques heures après la demande de destitution faite par le président Trump sur Truth Social.
« Depuis plus de deux siècles, il est établi que la destitution n’est pas une réponse appropriée à un désaccord à propos d’une décision de justice », a expliqué dans un communiqué John Roberts, président de la Cour suprême. « La procédure ordinaire d’appel existe à cette fin », a-t-il souligné.
Mais cette intervention n’a pas freiné les attaques républicaines.
Lors de la conférence de presse du 19 mars, la porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, a affirmé qu’« il est très clair que c’est un juge militant qui essaie d’usurper l’autorité du président ».
« Non seulement ils usurpent la volonté du président et chef de l’exécutif de notre pays, mais ils sapent aussi la volonté du peuple américain », a-t-elle déclaré.
Donald Trump a également répliqué et a sommé la Cour suprême de « régler le problème toxique et sans précédent » des juges fédéraux qui bloquent ses décisions.
« Si le président [de la cour] Roberts et la Cour suprême des États-Unis ne règlent pas immédiatement ce problème nocif et inédit, notre pays sera en très grave danger », a écrit le milliardaire sur son réseau Truth Social.
Ce n’est pas la première fois que le juge Roberts intervient auprès de Donald Trump. Lors de son premier mandat, le président de la plus haute juridiction du pays avait déjà dû recadrer le président américain, après qu’il ait accusé un magistrat d’être partisan.
« Il n’y a pas de juges pro-Obama, ou de juges pro-Trump, pro-Bush ou pro-Clinton », avait répondu John Roberts en 2018.
Les Checks and balances menacés ?
« Ces juges veulent obtenir les pouvoirs de la présidence sans avoir à atteindre les 80 millions de votes. Ils veulent avoir tous les avantages, mais sans prendre de risques! »
De nombreux experts et opposants accusent Donald Trump de mettre à mal la séparation des pouvoirs aux États-Unis. Élément clé de la démocratie, la séparation des pouvoirs est un concept divisant le pouvoir étatique en trois branches : l’exécutif (présidence), le législatif (Congrès) et le judiciaire (tribunaux).
Aux États-Unis, la Constitution américaine de 1787 assure cette séparation par les « checks and balances ». Les différentes branches de pouvoir détiennent donc toutes des droits pouvant contrebalancer les pouvoirs de l’autre.
Ainsi, le législatif (celui qui élabore les lois) doit approuver les nominations présidentielles et peut démettre le président et un juge de ses fonctions. Cependant, le président (exécutif) peut déposer un veto pour bloquer les lois du législatif, qui lui pourrait passer outre ce veto avec un nombre suffisant de voix.
En plus de ce droit, le président détient la capacité de signer des décrets présidentiels. La Cour suprême peut toutefois déclarer ces actes inconstitutionnels.
Bien que complexe, ce système permet d’assurer qu’aucune branche de pouvoir ne conserve tout le pouvoir. En ignorant les demandes faites par le tribunal et en insistant sur la destitution d’un juge, Donald Trump contrevient au système de Checks and balances. Bien que garanti par la Constitution, le processus de destitution du juge Boasberg semble être un affront à la séparation des pouvoirs.
« Il n’y a aucun motif raisonnable pour lequel le juge Boasberg devrait faire l’objet d’appels à la destitution, et encore moins d’une procédure de mise en accusation », estime le professeur de droit constitutionnel au Williams College, Justin Crowe.
Pour le professeur, les tensions actuelles nuisent à la perception que se fait la population du système. Alors qu’il est toujours incertain si le juge Boasberg conclura à une violation de son ordonnance, plusieurs anticipent une possible crise constitutionnelle.
« Si les ordonnances n’étaient pas respectées, nous aurions alors une crise constitutionnelle », explique Ilya Somin, professeur de droit constitutionnel à l’Université George Mason. « Ce serait un grave revers pour la démocratie constitutionnelle en général, car cela signifierait que l’administration et le président ne seraient plus liés par des règles juridiques et constitutionnelles qu’ils n’approuvent pas. »
Crédits : Joe Ravi Wikimedia Commons

Meg-Anne Lachance
Étudiante en politique, Meg-Anne a toujours été intéressée par les enjeux internationaux, sociaux et environnementaux. Après avoir occupé le rôle de journaliste aux Jeux de la science politique, elle a eu la piqûre des communications. Guidées par un sentiment d’équité, elle s’efforce de donner une visibilité aux actualités oubliées. Féministe dans l’âme, vous pourrez certainement retrouver cette valeur dans certains de ses textes!