Tarabiscoté depuis sa création par la légende urbaine qui veut qu’apprendre la musique classique rend plus intelligent, Le Collectif s’est enfin décidé à mettre le pendule du métronome à l’heure. Premier point d’orgue : la Grèce antique. Quoi de mieux que de consulter la mythologie pour vérifier un mythe? Maestro, musique!
Par Rodrigue Turgeon
Muses
Pour nos ancêtres, les muses, au compte de neuf, charmaient la nature et apaisaient les dieux au son de leurs lyres. Chacune protégeait et représentait une forme d’art. Euterpe, armée de sa flûte, personnifiait la musique tandis que sa soeur Erato se chargeait d’assurer la gloire des chants nuptiaux, pour ne nommer que celles-ci. Les p’tites muses capotaient sur Appolon, dieu de la lumière, de la divination, mais aussi des arts, un être réputé pour son intelligence. De tout ce prélude, ne retenons que ceci : pour les Grecs, il existait un lien direct entre musique et génie.
Classe
Les millénaires finirent par chasser de nos esprits ces plantureuses nymphes, mais perdura la croyance populaire que la musique faisait des enfants des surhumains. L’illustre Wolfgang Amadeus Mozart, composant ses premiers menuets à six ans et ses opéras et ses symphonies encore dépourvus de pomme d’Adam, contribua certainement à la consolidation de la thèse. La virtuosité de l’enfant prodige inspira tant et tellement l’imaginaire collectif qu’on en vint à publier dans l’éminente revue scientifique Nature qu’il existait bel et bien un « effet Mozart » – une formulation imagée pour exprimer cette idée d’accroissement de l’intelligence par la musique. Harvard va jusqu’à quantifier à 80 % le nombre d’adultes américains qui y accordent foi.
Et c’est ainsi que bon nombre de parents désireux de donner à leur progéniture toute la gamme d’instruments pour réussir virent en l’enseignement de la musique la clé pour s’assurer qu’ils suivent le tempo.
« Finis ton heure de piano si tu veux aller jouer au hockey avec les voisins! », s’époumonèrent tant de parents de par le monde, de par les siècles.
« Dos droit, tiens tes poignets comme du monde! »
J’en braille encore.
Hic
Mais poursuivons la lecture de la pièce, car voici que se profile devant nous un « dal segno al coda », un symbole musical commandant de reprendre certains éléments afin de mieux conclure.
Car, il y a un an de cela, la dernière recherche sur le sujet bouleversa l’harmonie qui régnait jusqu’alors. Dans l’esprit des parents des petits musiciens, et puis entre Apollon et ses muses. Toutes les presses titrèrent l’affront d’Harvard contre « l’effet Mozart ». Je vous cite un extrait de l’article vulgarisateur publié par Radio-Canada:
« L’effet Mozart serait-il un mythe? Une récente étude menée à l’Université Harvard répond à cette question de façon claire : il n’y a aucun lien entre l’étude de la musique et l’intelligence.»
Des millénaires de certitudes réduits à néant. En seulement six semaines d’étude. Sur à peine 74 enfants témoins.
*
Tout espoir de vous offrir un article digne de ce nom semblait soudainement fort compromis. Une fois de plus, Le Collectif venait de se faire voler la chandelle par la société d’État. Mais n’écoutant que son scepticisme et son audace, on a décidé de pousser un peu plus loin l’enquête.
Car contrairement à ce qu’évoque l’image du piano, tout n’est pas noir ou blanc. En effet, les touches ne flottent pas dans les airs.
Votre journal s’est donc penché sur l’étude en question.
Ce qui est chouette avec Harvard, c’est que les professeurs qui choquent le monde à grand coup d’études cataclysmiques ont pris l’habitude de répondre de leurs actes sur des forums interactifs une fois leurs travaux publiés. C’est sur cette plateforme que le professeur Samuel Mehr, tête dirigeante de la recherche, clarifie que tout ce que son étude vient réfuter est le raccourci intellectuel emprunté par ses prédécesseurs. À ses dires, ils y allaient à coup du sophisme « Post hoc, ergo propter hoc » :
A s’est produit.
Puis B s’est produit.
Donc A a causé B.
Pour Samuel Mehr, ça revient à dire que :
Les enfants ont appris à jouer du violoncelle.
Puis ils sont devenus plus intelligents.
Donc apprendre la musique rend plus intelligent.
Autant dire, tant qu’à y être, que :
Un béluga s’est échoué à Cacouna.
Puis Gaétan Barrette coule les médecins.
Donc le béluga qui s’est échoué à Cacouna a causé le projet de loi 20.
Car à la lumière de ses conclusions, « il n’y a rien pour supporter l’idée qu’une courte période d’apprentissage d’un instrument accroisse les habiletés cognitives d’enfants d’âge préscolaire. »
On est loin d’être au diapason avec la société d’État.
Coda
Quoi qu’il en soit, toute cette cacophonie de théories divergentes d’« effet Mozart » est à l’image de l’existence du célébrissime compositeur. En effet, il évolua jusqu’à la mort dans l’absence totale de consensus social à son égard. Le public le disait débonnaire dans son écriture alors que ses proches le dépeignaient comme un compositeur acharné.
Sa mort n’arrangea rien à la mésentente générale. Les circonstances entourant son trépas portent à croire qu’il fut assassiné, ce qui revient à contredire le constat de décès par une forte fièvre tel que dressé par son médecin. On ne compte plus ses rivaux. Antonio Salieri croulait de jalousie devant l’imagination foisonnante du jeune Viennois. Franz Hofdemel avait toutes les raisons du monde de le liquider, sa femme ayant fait dièse avec Mozart.
Sur cette note, faites attention à ce qu’on vous chante et surtout de ne pas tomber sur ce sol fa ci la si ré.