Mar. Avr 16th, 2024

Par Sarah Gendreau Simoneau

L’histoire de Catherine Fournier est sur toutes les lèvres depuis deux semaines à la suite de sa sortie publique sur l’agression sexuelle dont elle a été victime en 2017. Des propos haineux et misogynes ont d’ailleurs déferlé sur les réseaux sociaux et même en ondes, lors d’émissions de radio de quelques chaînes au Québec. Encore en 2023, les victimes de violences à caractère sexuel (VACS) ne sont pas prises au sérieux par bon nombre de gens.

Catherine Fournier, mairesse de Longueuil, n’a eu d’autres choix que de faire une sortie publique, le 18 avril dernier, concernant l’agression dont elle a été victime. L’ordonnance de non-publication de l’identité de la victime de l’ex-député Harold Lebel n’a pas été respectée et son nom circulait depuis deux ans. Son identité devait d’ailleurs rester secrète pendant tout le processus judiciaire.

Déjà, il s’agit d’un manque de respect face à la victime que d’exposer, à la minute où l’agresseur est arrêté, son identité, qu’il s’agisse d’une personnalité publique ou non, sans son consentement. Mme Fournier s’est tournée vers un avocat au civil qui a envoyé une mise en demeure à l’ex-député péquiste et avocat, Stéphane Bédard, qui a violé l’ordonnance de la cour, lors d’une émission de télé.

Ce dernier a présenté une lettre d’excuses, mais a aussi accepté de donner 10 000 $ aux Centres d’aides de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) du Québec. Un geste certes honorable, mais ce qui y a mené prouve que du travail reste à faire avant d’obtenir un respect total pour les victimes.

Propos déplacés

En plus du tourbillon que causait déjà cette histoire, des animateurs de radio ont tenu des propos controversés en ondes à propos de l’agression qu’a subie Catherine Fournier. Simon Tremblay, animateur à la station KYK à Saguenay, se demandait qu’est-ce que la mairesse, alors députée à l’Assemblée nationale, « faisait » dans la résidence de M. Lebel lors de l’agression.

« Ça se peut que je m’essaie », a-t-il lancé, insinuant que même si l’ex-députée n’avait pas donné son consentement, il aurait probablement posé les mêmes gestes que M. Lebel.

Ses propos s’ajoutent à ceux de Monika Bourgeois, animatrice à la station CFYX à Rimouski. « Elle a été prendre sa douche. En partant, prendre ta douche avant de te coucher… si ça ne te tente pas, tu t’organises pour ne pas sentir bon. »

Comme si une agression sexuelle était justifiée parce que la personne a pris sa douche. Elle sent bon, n’importe qui peut « s’essayer », c’est comme si elle donnait le go, comme si c’était un signe que tout lui tente. Mais où va le monde ?!

Plusieurs élus locaux ont alors annoncé vouloir boycotter la station jusqu’à ce que des correctifs s’imposent.

Les deux animateurs ont admis, le lendemain desdits propos énoncés, avoir dépassé les limites. Ils se sont publiquement excusés en ondes aux auditeurs et personnellement à Catherine Fournier. Cette dernière, ayant accepté les excuses, ne comprenait tout simplement pas comment des propos aussi déplacés pouvaient être tolérés en ondes. De telles paroles à l’endroit des victimes exposent encore une fois l’insensibilisation et le manque d’éducation face aux VACS.

Ce genre de propos s’inscrit dans la culture du viol, estime Geneviève Paquette, professeure au Département de psychoéducation de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. « La culture dans laquelle on baigne banalise les agressions sexuelles envers les femmes, les normalise, blâme et responsabilise les victimes au lieu des agresseurs. »

Elle ajoute que cette culture du viol envoie des messages aux femmes qu’elles sont à risque d’agression sexuelle et que si un jour elles sont victimes, ce sera de leur faute.

Le Réseau des centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) a fait valoir que « peu importe l’habillement d’une personne, qu’elle ait choisi de se rendre chez l’agresseur de son plein gré et peu importe les attentes que ce dernier peut avoir, la responsabilité d’une agression sexuelle ne revient en aucun cas à la personne victime ». L’organisme rappelle aussi que, dans 80 à 85 % des cas, la victime fige au moment de l’événement plutôt que de fuir ou de combattre.

Derrière l’écran

Concernant l’histoire en général, mais aussi les propos désobligeants en ondes, plusieurs commentaires sous des publications reflètent également le manque de délicatesse et d’empathie envers les victimes.

« On n’a plus le droit de rien dire », « que faisait-elle chez un homme si elle ne voulait pas de rapprochements ? », « il faut éviter de se mettre dans des situations à risque », tous des commentaires alimentant la culture du viol, lus sous des publications d’articles relatant la situation. Et pas seulement venant d’hommes. Des commentaires de femmes aussi.

Ces gens diraient-ils la même chose s’ils étaient victimes eux aussi ? Si leur fille subissait le même sort que Mme Fournier ? Si des propos controversés concernant leur mère victime sortaient en ondes ? Les victimes sont mal comprises, pas écoutées, pas prises au sérieux.

Récupération politique?

Plusieurs hommes politiciens ont salué le courage dont a fait preuve Catherine Fournier et ont félicité le système de justice et la confiance que la société devrait lui accorder, ce qui a suscité un certain malaise chez une poignée de personnes. Ces soudains élans de solidarité, compte tenu de toutes les failles du système en matière de crimes à caractère sexuel, ont un effet invalidant pour les victimes. C’est comme une victimisation secondaire qui peut provoquer un sentiment de rejet et d’isolement.

La chercheuse postdoctorale, autrice et documentariste Léa Clermont-Dion, elle-même victime, trouve que certains politiciens font preuve d’hypocrisie en démontrant leur solidarité publiquement, « alors que dans les dernières années, ils n’ont pas nécessairement offert leur aide ni leur soutien à Catherine Fournier, ainsi qu’aux victimes d’agression sexuelle ». C’est, selon plusieurs, une forme de récupération et d’instrumentalisation politiques de l’histoire de Catherine Fournier pour se donner bonne conscience.

Encore là, le système comporte des failles et si le système ne se répare pas, comment faire pour réparer les gens et les mentalités pour donner le respect aux victimes ?


Crédit image @Pixabay

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Rédactrice en chef et directrice générale, auparavant cheffe de pupitre SPORT ET BIEN-ÊTRE pour le journal Le Collectif | Site web

Passionnée par tout ce qui touche les médias, pas surprenant que Sarah tripe autant sur ses cours du bac en communication, lorsqu'elle fait de la radio à CFAK et lorsqu'elle écrit des articles pour Le Collectif. Dans l'équipe du journal depuis mai 2021, elle est fière de mettre sa touche personnelle dans ce média de qualité de l'Université de Sherbrooke.

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