Par Hélène Bughin
Chaque année, la rentrée littéraire redémarre une saison de lectures captivantes et surprenantes. Cette fois-ci, 2021 est synonyme d’évolution intellectuelle et sensible, la majorité des ouvrages se concentrant sur l’introspection, les angles morts, l’intime et l’intellectualisation de l’impossible. C’est aussi une année de suite : on retrouve dans les titres des univers encore plus complexes et travaillés. Le Collectif offre donc quelques propositions en matière de littérature québécoise contemporaine.
Les essais à surveiller
Si on aime les ouvrages forts de Remue-Ménage, comme Libérer la culotte de Geneviève Morand et Natalie-Ann Roy, le nouveau Filles corsaires de Camille Toffoli se rajoute à la liste comme ouvrage de force. Celle qui est aussi une cofondatrice de la librairie féministe L’Euguélionne est surtout connue comme essayiste après avoir publié dans différentes revues. Traitant de différentes figures féminines éclectiques, Toffoli élabore une réflexion sur la performance de genre, l’université et l’enjeu des classes sociales. Les luttes féministes sont ainsi vues et réfléchies avec leurs angles morts et leurs nuances.
Toujours chez Remue-Ménage, Le féminisme pop de Sandrine Galand propose une réflexion un peu différente, cette fois sur les icônes pop, comme Beyoncé, Lady Gaga : leur féminisme est-il politique? Est-il joliment décoré pour faire fructifier les ventes ou marque-t-il une résistance authentique? Questions difficiles et épineuses, mais Galand navigue parmi ces enjeux pour révéler une compréhension nuancée qui réconcilie avec la culture populaire.
Il y a aussi La philosophie aujourd’hui : un plaidoyer de Marco Jean, aux éditions Nota Bene, qui retient l’attention par sa proposition actuelle et simple : pourquoi étudier la philosophie? Le doctorant en sciences des religions de l’Université du Québec à Montréal, après une maîtrise en philosophie à l’Université de Sherbrooke, entreprend de répondre à cette question franchement. L’auteur use le prisme de la pertinence pour déterminer le rôle de cette discipline mouvante au sein de notre société.
Une rentrée de récidivistes en poésie
Dans Disparaître, la poète Denise Desautels associe sa plume curieuse aux œuvres de Sylvie Cotton. Le nouveau recueil du Noroît, nouvellement dirigé par un duo de femmes et qui fêtera bientôt ses cinquante ans, revient en force cet automne avec une publication aussi visuellement intéressante que chargée poétiquement.
Puis la rentrée littéraire accueille aussi le nouveau titre fort de Jean Sioui, Au couchant de la terre promise, aux éditions Mémoire d’encrier. Puisant dans le drame autour du décès de Joyce Echaquan, le poème est un cri d’alerte, une manifestation de cette douleur des Premières Nations à se retrouver victimes d’un système les discriminant. L’auteur wendat livre un plaidoyer de solidarité contre l’ignorance et l’indifférence.
Toujours dans la même maison d’édition, c’est le titre Pomme Grenade d’Elkahna Talbi qui retient aussi l’attention cet automne. Après le marquant Moi, figuier sous la neige, l’artiste pluridisciplinaire aborde cette fois-ci des thèmes plutôt intimes et proches du corps, des sensations. Par ses poèmes charnels, Talbi se questionne sur le désir, l’amour, les relations. Une lecture délectable à rajouter sur la pile.
Des récits inquiétants
Depuis Oss, Audrée Wilhelmy a su façonner un univers aussi cru que fondateur. Plie la rivière, toujours chez Leméac, continue à révéler l’imaginaire gothique de l’autrice, qui a notamment remporté le Prix Sade en 2015. Mettant toujours en scène Noé, le conte ensorcelant superpose thèmes matures et paysages décrits avec intelligence. C’est un incontournable de la rentrée que Wilhelmy nous offre fin septembre, dans toutes les librairies.
Celle qui a été remarquée avec Mère d’invention revient en force avec Sadie X. Clara Dupuis-Morency livre chez Héliotrope le récit captivant d’une chercheuse, Sadie, obsédée par le monde bourdonnant des virus et autres organismes microscopiques. Son obsession tournera de manière inquiétante. Du texte émane une aura mystérieuse qui saura vous fasciner.
Le genre de la nouvelle vous plaît et vous souhaitez découvrir un recueil surprenant, qui sort de l’ordinaire? Western Spaghetti de Sara-Ànanda Fleury au Quartanier convoque huit voix articulant leurs récits autour de la famille, du secret et de la fuite. Les personnages sont tantôt un enfant voyageant avec un prophète en Nouvelle-Écosse, tantôt un couple à Vancouver, tantôt des adolescents blasés flânant près du lac Huron. Premier titre de l’autrice maintenant enseignante en France, il s’insère dans le répertoire de la maison d’édition comme une nouvelle publication éclatée et éclatante.
Genres multiples
Ma vie en lo-fi, de Simon Labelle aux éditions Mécanique générale, est une nouveauté qui plonge le lectorat dans l’univers particulier des acouphènes et autres troubles auditifs. L’auteur, bachelier en communication à l’Université de Concordia, publie également des bandes dessinées. Son roman graphique, Le suicide de la Déesse, a remporté le prix Bédélys Québec en 2010. Auparavant président de l’Association des illustrateurs et illustratrices du Québec, il est maintenant designer web à Montréal. Son nouveau titre est une plongée touchante et complexe sur une réalité peu abordée.
Il est difficile de ne pas se souvenir de l’immense tragédie du Lac-Mégantic du 6 juillet 2013, nuit durant laquelle 47 personnes ont perdu la vie dans un accident de train presque improbable. Mégantic : Un train dans la nuit chez Écosociété, du dessinateur Christian Quesnel et de la militante Anne-Marie Saint-Cerny, revient sur les pas de ce moment fatidique, remonte le fil jusqu’aux origines de cette production dangereuse qu’est celle du pétrole. L’œuvre explore également la cupidité du capitalisme, en mettant en lumière les difficultés de la population à la suite de la tragédie, allant du deuil aux arnaques immobilières.
Prendre pays est un nouveau collectif, regroupant Vanessa Bell, Rosalie Roy-Boucher, Alexandre Fednel, Mélodie Rheault, Gabrielle Demers. Paru chez Quartz, toute nouvelle maison d’édition, ce sont onze lettres explorant le territoire. La facture visuelle du livre est merveilleuse et vaut le détour!
Crédit photo @ Hélène Bughin