L’haleine de la Carabosse de Marise Belletête
Par Sarah Baril-Bergeron
L’haleine de la Carabosse est une œuvre littéraire dans un style tout à part. Dans cet ouvrage, qui était initialement un projet de maîtrise, la primo-romancière aborde principalement le deuil, soit celui du père de la protagoniste. Bien qu’absent de sa vie depuis plusieurs années, son départ se fait bien remarquer dans la vie d’Ève, qui voit son quotidien chamboulé.
L’œuvre pose une tension entre réalisme et merveilleux, entre l’enfance et le monde adulte. Il en émane une impression féérique, une certaine magie dans l’écriture. Les références à l’univers des contes sont omniprésentes : il est question de Raiponce, du Chat botté, de Cendrillon, de la Belle au bois dormant, de Boucle d’or, de Barbe bleue… La mère du personnage se prénomme Blanche, et Ève la compare à la Carabosse. Elle possède d’ailleurs un œil de verre.
Habituellement, la Carabosse fait référence aux jeteuses de sorts des contes merveilleux, à ces fées maléfiques qui tentent d’influencer le destin : c’est ce qui se passe dans le roman de Marise Belletête. Ève a l’impression de ne pas avoir de contrôle sur sa vie et que tout lui est dicté par sa mère. Naviguant toujours le deuil de son père absent, elle tente également de s’émanciper de sa mère, d’échapper à L’haleine de la Carabosse.
La forme du texte est intéressante. Relevant tantôt de la narration à la 3e personne, tantôt des pensées du personnage au « je », il s’y insère parfois des contes rédigés par le père d’Ève, qui était un avide fanatique d’histoires merveilleuses. La forme fragmentée rythme le texte et en rend sa lecture très fluide. Ce passage du roman qui aborde le journal de William, le père d’Ève, résume très bien l’œuvre elle-même : « Son journal était un fouillis de sa vie, d’inconscient collectif, dilué dans ces histoires sauvées de justesse de l’oubli, ambiant où tombait le folklore. »
Il s’agit d’un roman très original que je recommande à tous, et surtout aux adeptes du merveilleux.
Pédés
Par Victor Lambert
Par son titre provocateur, Pédés est un essai sur l’homosexualité masculine au 21e siècle. Il est paru en juin 2023 dans la collection Points Féministe des éditions Points et sous la direction de Florent Manelli. À travers les témoignages bruts et authentiques de huit militants homosexuels — Jacques Boualem, Camille Desombre, Adrien Naselli, Julie Ribeiro, Ruben Tayupo, Nanténé Traoré, Antohony Vincent et Florent Manelli lui-même — se dévoilent des histoires de vies et des parcours différents. La force de cet essai repose sur la diversité des trajectoires présentées : des personnes issues des quartiers populaires aux banlieues chics, issues de l’immigration et au parcours professionnel varié.
Chaque auteur apporte sa propre expérience, ses luttes, ses victoires et ses défaites, offrant aux lecteurs une vision riche et déconstruite sur la réalité de l’homosexualité au 21e siècle. Les huit auteurs nous dépeignent un portrait complexe de ce que signifie être homosexuel dans une société encore très largement hétéronormative. Leurs témoignages nous montrent et nous expliquent les embûches auxquelles ils/elles ont été et sont encore confrontés aujourd’hui, mais aussi les moments de fierté ainsi que de solidarité à travers les membres de la communauté LGBTQIA +. Pédés a pour but de lutter contre les discriminations, les préjugés et se veut être « pédagogique, politique et fédérateur ».
En tant que lecteur et membre de la communauté LGBTQIA+, j’ai été particulièrement touché par les écrits de ces militants sur leur vécu et leur parcours. Pédés regroupe des témoignages poignants, donnant la voix à des personnes souvent marginalisées. C’est un ouvrage qui permet d’amener une réflexion sur la place des minorités sexuelles dans notre société contemporaine. C’est une excellente lecture et très accessible pour tout public.
Vaillante de Chris Bergeron
Par Rémi Brosseau-Fortier
Paru en 2022 aux éditions XYZ, dans la collection « Draisine », Vaillante est une nouvelle écrite par Chris Bergeron, une femme trans, s’inscrivant dans le même univers dystopique que son précédent roman, Valide. L’histoire suit l’expédition spatiale d’un couple d’astronautes lesbiennes, la commandante Andréa Chang et la pilote Maïa Silva, qui quittent la terre en direction de la planète Mars dans une expédition financée par un milliardaire avide de profits.
À la fois tragique, drôle, romantique et philosophique, l’autrice offre, par la narration à la première personne de Chang, une critique bien ficelée du patriarcat, du capitalisme et de l’industrie spatiale dominée depuis toujours par les hommes. Les thématiques de la quête de sens et d’affirmation de soi face aux poids des normes sociales dominantes sont incisives sans nous sortir du récit.
Vaillante expose les coûts psychologiques associés à l’obligation de se conformer à une organisation sociale machiste et hostile à l’égard de la diversité de genre et d’orientation sexuelle. L’équilibre entre les anecdotes de la vie personnelle des personnages et les monologues critiques offre une expérience complète qui saura plaire à différents types de lectrices et de lecteurs.
Les références à la série culte de science-fiction Star Trek ajoutent une touche de légèreté à une histoire parfois sombre qui aborde le sens de la vie, l’insignifiance de l’humanité dans l’Univers et le rapport à la mort. Les personnages attachants, l’écriture riche, détaillée, mais sans être surchargée, et l’attention aux détails scientifiques ont comblé l’amateur de science-fiction en moi. Faisant moins de 80 pages, cette nouvelle agréable et rapide à lire est une excellente introduction aux écrits de Chris Bergeron et, plus largement, aux thématiques féministes. Voici un extrait marquant :
« C’est peut-être pour ça, d’ailleurs, que nous sommes encore si peu de femmes à avoir le privilège de l’espace. Nos objectifs sont nébuleux. Car même si notre équipage est féminin, notre fusée nucléaire n’a pas fait éclater les plafonds de verre : pensez-vous que je n’ai pas remarqué qu’à Houston, vous êtes encore 80 % d’hommes, rêvant de bâtir de nouveaux empires au-delà des cieux? Notre mission sentait le coup de pub pour faire oublier au monde qu’au fond, vous n’êtes qu’une bande de colons phallocrates, des masturbateurs aux grosses fusées. » (Chris Bergeron)
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